Jeunesse africaine face à l’épreuve de l’emploi : un défi qui persiste malgré la croissance

Le rapport Global Employment Trends for Youth 2024 – Sub-Saharan Africa de l’Organisation internationale du travail (OIT) dresse un état des lieux sans concession. Il révèle que, malgré quelques signes de reprise post-Covid, la région reste « hors trajectoire » pour atteindre les objectifs internationaux de réduction de l’inactivité des jeunes. Les défis sont nombreux : inégalités persistantes entre hommes et femmes, faible diversification économique, lenteur de la transformation structurelle et montée des tensions politiques et sécuritaires.
Un constat alarmant sur le marché du travail des jeunes
En Afrique subsaharienne, l’emploi des jeunes demeure l’un des enjeux sociaux et économiques les plus préoccupants. Selon le rapport de l’OIT publié en août 2024, près de 22% des jeunes âgés de 15 à 24 ans étaient en 2023 ni en emploi, ni en éducation, ni en formation (NEET), un taux supérieur à la moyenne mondiale de 20,4%.
Loin d’être anecdotique, cette statistique illustre un retard préoccupant : l’Afrique subsaharienne figure parmi les trois régions du monde « hors trajectoire » pour atteindre l’objectif de développement durable (ODD) 8.6, qui vise à réduire significativement le nombre de jeunes NEET d’ici à 2030.
Par ailleurs, le rapport souligne des écarts marqués entre les sous-régions. En Afrique de l’Ouest, le taux de NEET a chuté à 19,2% en 2023, marquant un progrès notable depuis 2019. À l’inverse, l’Afrique australe enregistre un taux préoccupant de 34%, en hausse par rapport à la période prépandémique.
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Les inégalités entre hommes et femmes restent profondes. Trois jeunes NEET sur cinq sont des femmes, avec un taux de 27%, soit dix points de plus que celui des hommes (16,9%). Selon l’OIT, cet écart s’explique par des obstacles persistants à l’accès des jeunes femmes à l’éducation et au marché du travail.
En 2023, le taux de chômage des jeunes en Afrique subsaharienne s’établit à 8,9%, légèrement inférieur aux 9,5% enregistrés avant la pandémie. Mais ce chiffre relativement bas masque une réalité moins encourageante : la majorité des jeunes ne peuvent se permettre de rester sans emploi et acceptent souvent des postes précaires.
Près de 72% des jeunes adultes âgés de 25 à 29 ans exercent leur activité dans des conditions « insecure », notamment le travail informel, l’emploi familial non rémunéré ou les contrats temporaires. Ce taux n’a diminué que de 0,6 point en vingt ans, illustrant une stagnation du progrès social.
Des emplois concentrés dans l’agriculture et les services peu productifs
L’agriculture demeure le principal secteur d’emploi des jeunes, représentant 60% des postes en 2021, soit la proportion la plus élevée au monde. Bien que ce chiffre ait diminué de huit points depuis 2001, cette baisse reste modeste comparée à d’autres régions, comme l’Asie du Sud, où le recul a atteint 21 points sur la même période.
La diminution de l’emploi agricole n’a pas bénéficié à l’industrie : le secteur manufacturier ne représente que 6,4% de l’emploi des jeunes. La transition s’est opérée vers les services, mais principalement dans des segments à faible productivité comme le commerce, les transports, l’hébergement et la restauration, un phénomène que l’OIT qualifie de « transformation structurelle sans industrialisation ».
Par ailleurs, la scolarisation des jeunes a progressé : dans 17 pays disposant de données comparables, la proportion des 15‑19 ans scolarisés est passée de 58% au début des années 2000 à 67% en 2023. Les diplômés de l’enseignement supérieur sont moins susceptibles d’être NEET, mais le rapport souligne que, dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur (catégorie majoritaire en Afrique subsaharienne), ce diplôme ne garantit pas toujours un emploi correspondant aux compétences acquises.
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Deux tiers des jeunes actifs occupent un poste ne correspondant pas à leur niveau de qualification, et le phénomène de « suréducation » progresse depuis 20 ans.
Toutefois, les perspectives économiques régionales se sont légèrement améliorées. Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une croissance de 3,8% en 2024, suivie de 4% en 2025. En revanche, l’OIT anticipe un maintien du taux de chômage des jeunes à 8,9% et un taux de NEET quasiment stable à 21,8 % en 2025.
Le rapport met en avant l’effet du « boom démographique ». En effet, entre 2023 et 2050, la population active jeune augmentera de plus de 72 millions de personnes. Sans un effort massif de création d’emplois décents, cette dynamique risque d’accentuer la pression sur les marchés du travail.
L’insécurité et les conflits amplifient l’anxiété des jeunes
En 2022, près de 8,9 millions de jeunes vivaient à proximité immédiate de zones de conflit, un record sur vingt ans. L’augmentation des violences armées et des déplacements forcés — 68,3 millions de personnes déplacées dans 66 pays et territoires fin 2023 — contribue à un climat d’incertitude.
Les sondages cités par l’OIT révèlent que plus de 83% des jeunes Africains craignent que leur pays n’entre en guerre, soit une hausse de 12 points par rapport à il y a dix ans. L’Afrique subsaharienne reste également la région où la proportion de jeunes redoutant de perdre leur emploi est la plus élevée au monde.
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Pour répondre à cette situation, l’OIT et l’Union africaine ont élaboré une Stratégie conjointe pour l’emploi des jeunes, adoptée en août 2024. Elle repose sur cinq axes : favoriser la transformation structurelle grâce à des politiques macroéconomiques pro-emploi et sensibles au genre ; étendre la protection sociale et encourager la formalisation du travail ; adapter l’éducation et la formation aux besoins du marché ; impliquer les jeunes dans l’élaboration des politiques ; et placer la création d’emplois décents au cœur des programmes économiques.
Malgré des taux de chômage relativement bas, l’Afrique subsaharienne fait face à un double défi : améliorer la qualité des emplois et réduire le nombre de jeunes exclus du marché du travail ou du système éducatif. Une croissance économique, même soutenue, ne suffira pas à absorber l’augmentation massive de la population active sans politiques volontaristes et inclusives.