Comment le Sénégal est devenu le pays le plus endetté d’Afrique ?

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Comment le Sénégal est devenu le pays le plus endetté d'Afrique ?Bassirou Diomaye Faye, président de la République du Sénégal. © DR

Entre révélations accablantes sur la gestion budgétaire passée, chute de la confiance des investisseurs et suspension du soutien du FMI, le Sénégal fait face à une crise économique et financière inédite. Un défi de taille pour les autorités, qui doivent à la fois assainir les comptes publics, restaurer la crédibilité du pays et préserver la cohésion sociale. Détails.

 

À peine investi, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a découvert l’ampleur du gouffre financier laissé par le régime de Macky Sall. Un audit des finances publiques a révélé un endettement bien plus alarmant que celui reconnu par les autorités sortantes. Au 31 décembre 2023, la dette de l’administration centrale budgétaire dépassait 18 500 milliards de FCFA, soit 99,7% du PIB, bien loin des 74% officiellement déclarés. Pire, selon un rapport de Barclays publié début juillet 2025, ce taux aurait bondi à 119% en 2024, plaçant le Sénégal parmi les pays africains les plus endettés.

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Derrière ces chiffres, le rapport d’audit met en lumière une gestion pour le moins préoccupante : dettes contractées sans approbation parlementaire, transferts opaques vers des structures non identifiées, dépenses fiscales non évaluées, et dissimulation de créances douanières. Certaines recettes fiscales auraient même été artificiellement rattachées à des exercices antérieurs afin de minorer le déficit budgétaire, qui s’élevait en réalité à 12,3% du PIB en 2023, contre les 4,9% officiellement annoncés.

Ces manipulations ont profondément entamé la confiance des bailleurs et des investisseurs internationaux, au point de faire chuter les obligations souveraines du Sénégal parmi les moins performantes des pays émergents, selon Bloomberg.

Une crise de confiance aux conséquences durables

Le rapport de Barclays a eu l’effet d’un électrochoc sur les marchés. En quelques jours, les obligations sénégalaises à échéance 2033 et 2048 ont de nouveau chuté, accentuant une spirale baissière entamée dès septembre 2024. La note souveraine du pays, déjà abaissée à « B » en mars 2025 par S&P Global Ratings, reste cinq crans sous le seuil d’investissement. Cette dégradation illustre une défiance persistante des investisseurs à l’égard d’un État lourdement endetté.

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À cela s’ajoute, la suspension par le FMI d’un programme d’aide de 1,8 milliard de dollars, en raison de la découverte de créances non déclarées et de données financières faussées. Sans cette bouée de sauvetage, l’accès du Sénégal aux marchés internationaux devient plus coûteux, voire compromis.

Le Premier ministre Ousmane Sonko a tenté de préparer l’opinion à cette réalité. Dans un discours véridique, il a reconnu que 70% des recettes de l’État étaient désormais absorbées par le service de la dette. Une hémorragie budgétaire qui empêche tout redéploiement significatif vers les secteurs prioritaires comme la santé, l’éducation ou l’emploi.

Un chemin de croix vers la stabilisation

Face à cette impasse, le gouvernement Bassirou Diomaye Faye se trouve devant un triple impératif : rétablir la sincérité des comptes publics, restaurer la confiance des partenaires internationaux et relancer une économie asphyxiée.

Cela passe d’abord par une gouvernance rigoureuse. L’audit des rapports de la Cour des comptes révèle les dérives passées, mais pose aussi les bases d’une nouvelle ère de transparence. Des audits réguliers, un contrôle parlementaire renforcé et un recentrage des dépenses publiques sur des priorités nationales sont autant de chantiers lancés par l’exécutif.

Le FMI révèle une sous-estimation de la dette sénégalaise

Mais la voie sera étroite. Selon Barclays, il faudra près de dix ans pour ramener la dette sénégalaise sous la barre symbolique des 100% du PIB. Dix ans de rigueur budgétaire, de renégociation avec les créanciers, et de sacrifices potentiellement douloureux pour une population déjà fragilisée par la crise.

Repenser le contrat économique et social

Au fond, la question dépasse les chiffres. C’est toute une relation entre l’État et ses citoyens qu’il faut redéfinir. Le régime actuel joue sa crédibilité sur sa capacité à transformer la rigueur en espoir, et la transparence en moteur de développement. Il lui faudra restaurer la confiance des investisseurs, mais aussi et surtout celle de la population.

Car si les bailleurs de fonds peuvent attendre dix ans, les Sénégalais, eux, réclament des réponses immédiates : un meilleur accès à l’éducation, des soins de santé dignes, des opportunités d’emploi. L’enjeu pour le Sénégal n’est donc pas seulement de redresser ses finances, mais de reconstruire un pacte social basé sur la justice, la responsabilité et la vérité.

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