Affaire Orano : les autorités nigériennes haussent le ton

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Affaire Orano : les autorités nigériennes haussent le tonLe gisement minier d’uranium d’Imouraren au Niger. DR

Le différend entre Orano, le géant français du nucléaire, et l’État nigérien ne se résume plus à une simple affaire contractuelle. Il incarne une recomposition profonde des rapports de force en Afrique de l’Ouest, où les États sahéliens, à commencer par le Niger, affirment de plus en plus leur souveraineté économique et politique face aux anciens partenaires occidentaux. À travers ce bras de fer autour de l’exploitation de l’uranium, se dessinent les contours d’un nouvel ordre géopolitique, économique et social.

Depuis le coup d’État de juillet 2023 qui a porté au pouvoir le général Abdourahamane Tiani, le Niger a multiplié les gestes de rupture à l’égard de la France. Le retrait, en juin 2024, du permis d’exploitation de la gigantesque mine d’Imouraren à Orano, détenue à 90% par l’État français, symbolise cette volonté de rompre avec les logiques de dépendance héritées de la colonisation. La junte nigérienne entend désormais reprendre le contrôle de ses ressources stratégiques, dont l’uranium est l’un des piliers.

Il y a quelques jours, le bras de fer s’est intensifié puisque les autorités ont procédé à des perquisitions dans les locaux d’Orano à Niamey et interdit l’accès aux sites à son personnel. Orano a dénoncé un « blocage » de ses activités, notamment sur le site de la Somaïr, dernière mine encore en exploitation, dont elle détient 63,4% des parts.

Orano internationalise le combat

Avant ce dernier accrochage, l’entreprise française avait engagé deux procédures d’arbitrage international : l’une devant la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA pour le cas d’Imouraren, l’autre auprès du CIRDI à Washington pour Somaïr. Elle réclame plus de 300 millions d’euros de dommages et intérêts.

Mais derrière ces batailles juridiques se joue un affrontement plus fondamental, celui entre une multinationale défendant ses intérêts stratégiques au nom de la sécurité énergétique de l’Europe, et un État sahélien déterminé à rééquilibrer une relation perçue comme historiquement inégale. Orano, héritier d’Areva, est implanté au Niger depuis 1971. Pendant des décennies, son influence a dépassé le cadre économique, s’étendant à la diplomatie et à la politique locale. À tel point que ses contrats, signés dans des contextes opaques ou asymétriques, ont longtemps été critiqués pour leur faible contribution au développement du pays.

          Lire aussi : Orano engage un deuxième arbitrage contre le Niger

Selon certains observateurs, le cas du Niger est révélateur d’un paradoxe criant. Bien que l’uranium extrait sur son sol alimente depuis des décennies les centrales nucléaires françaises, la majorité de la population nigérienne vit sans électricité. Dans les régions minières d’Arlit ou d’Akokan, les infrastructures sont défaillantes, les indicateurs de développement humain stagnent, et les retombées locales des recettes minières restent dérisoires.

Cette situation a contribué à nourrir un fort ressentiment populaire, relayé par la société civile et les autorités actuelles. Pour les autorités du Conseil national de la transition, il ne s’agit pas seulement de renégocier des contrats ou d’améliorer la fiscalité : c’est toute une logique de réappropriation qui est à l’œuvre. Le gouvernement veut désormais attribuer le permis d’Imouraren via un appel d’offres plus transparent, ouvert à d’autres partenaires, dans le cadre de ce qu’il appelle des partenariats « gagnant-gagnant ».

Le Niger cherche à la main sur son uranium

Dans ce contexte, le conflit avec Orano devient emblématique d’une dynamique régionale plus large. Le Mali, le Burkina Faso et la Guinée ont, eux aussi, exprimé leur volonté de revoir les termes de coopération avec les anciennes puissances coloniales. Le Niger, pays enclavé et pauvre, mais doté de richesses minières, entend ainsi s’inscrire dans un mouvement de souverainisme économique assumé. La diversification des partenariats, notamment vers la Russie et la Chine, s’inscrit dans cette stratégie de rupture avec le modèle occidental.

Lire aussi : Le Niger retire un permis d’exploitation d’uranium au français Orano

Ce changement de paradigme ne va pas sans risques. L’instabilité politique fragilise la sécurité juridique des investissements. Les arbitrages engagés par Orano pourraient durer des années et coûter cher, tant en termes financiers que de réputation. Mais pour les autorités nigériennes, le coût d’un statu quo serait encore plus élevé, il signifierait le maintien d’un modèle extractif injuste, qui perpétue la pauvreté malgré l’abondance des ressources.

Le conflit Orano-Niger dépasse donc largement la sphère du droit minier. Il incarne une transition, celle d’un continent qui cherche à rompre avec la dépendance, à redéfinir ses alliances, et à réconcilier exploitation des ressources et justice sociale. Dans cette nouvelle ère, l’uranium du Niger ne peut plus être considéré comme une simple matière première stratégique : il est devenu le symbole d’un combat pour la souveraineté et l’équité.

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