Pollution plastique : l’Afrique veut se faire entendre à Genève

Réunis sous l’égide des Nations unies, les participants tentent d’arracher un accord historique contre la pollution plastique. Considérée comme « la négociation de la dernière chance », cette rencontre vise à élaborer le tout premier traité mondial juridiquement contraignant sur la réduction des plastiques, un fléau qui menace les écosystèmes, la biodiversité et la santé humaine à l’échelle planétaire.
La présidence des débats a été confiée à l’Équatorien Luis Vayas Valdivieso, qui a qualifié ce moment d’« historique ». Il a souligné que la crise environnementale actuelle résulte des modes de vie contemporains et des choix industriels, et non d’un phénomène naturel incontrôlable. Selon lui, le temps des discours est révolu : « L’heure est aux mesures concrètes et partagées ».
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Depuis trois ans, les discussions autour de ce traité progressent difficilement. L’opposition est nette : d’un côté, une centaine de pays plaide pour un accord ambitieux visant à réduire drastiquement la production de plastique ; de l’autre, un bloc de pays pétroliers et producteurs de plastique ralentit les négociations, invoquant des enjeux économiques cruciaux. Ces derniers considèrent la limitation de la production comme une ligne rouge, préférant orienter le débat vers des solutions moins contraignantes.
La pression des lobbys industriels complique également les avancées. Les entreprises de la pétrochimie, dont les plastiques sont issus des hydrocarbures, ainsi que l’industrie des boissons en bouteille, tentent de bloquer tout traité trop ambitieux susceptible de nuire à leurs intérêts économiques. Ces acteurs influents cherchent à préserver le statu quo ou à limiter la portée des engagements contraignants.
L’Afrique en première ligne pour un traité ambitieux
Face à ces résistances, l’Afrique se distingue par une mobilisation sans précédent. Bien que le continent ne soit responsable que de 5% de la production mondiale de plastique et n’en consomme que 4%, il subit de plein fouet les conséquences de cette pollution, notamment en raison de l’importation massive de déchets plastiques en provenance des pays occidentaux.
Dès 2019, la société civile africaine s’est emparée de ce dossier, poussant les dirigeants politiques à prendre position. Résultat : sur les 54 pays du continent, 34 ont déjà adopté des mesures pour interdire ou limiter le plastique, à l’image du Gabon qui vient d’annoncer la fin des sacs à usage unique. Toutefois, de nombreux experts rappellent que ces initiatives locales, aussi louables soient-elles, restent insuffisantes sans un cadre mondial cohérent. « Sans mesures globales, ces politiques nationales échoueront », avertit Merrisa Naidoo, militante écologiste, interroge par RFI.
Une unité africaine saluée par les observateurs
Dans les couloirs de la conférence, l’unité du groupe africain force le respect. Selon Tim Gabriel, juriste à l’ONG britannique Environmental Investigation Agency, l’Afrique incarne aujourd’hui « l’autorité morale » de ces négociations, en avançant des propositions audacieuses sur les sujets les plus épineux. Le groupe défend notamment une réduction obligatoire de la production de plastique, une gouvernance démocratique des décisions et un mécanisme financier spécifique pour accompagner les pays en développement.
Le Ghana assure la présidence du groupe des négociateurs africains. Le Rwanda, en co-présidence de la Coalition pour le traité, a milité pour une réduction de 40% de la production plastique d’ici à 2040 sans succès jusqu’ici. Le Sénégal, membre influent du Bureau du Comité intergouvernemental, a plaidé en faveur d’un fonds dédié à la mise en œuvre du futur traité, tout en exigeant un vote à la majorité qualifiée en cas de blocage. Comme l’a déclaré Cheikh Ndiaye Sylla « le consensus tue la démocratie. Un ou deux pays ne doivent pas pouvoir bloquer la volonté de la majorité. »
Une négociation à l’issue incertaine
Malgré la volonté affichée par de nombreux pays et la pression croissante de la société civile, le chemin vers un traité reste semé d’embûches. Dès la première journée, les pays opposés à la limitation de la production ont multiplié les manœuvres procédurales, tentant de renvoyer les sujets sensibles en marge des discussions.
La directrice exécutive du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), Inger Andersen, a toutefois voulu garder espoir. « Ce ne sera ni facile ni simple, mais un chemin existe pour un traité », a-t-elle martelé, rappelant que Genève est le berceau du multilatéralisme. Elle a appelé à un sursaut collectif et à une vision partagée, au nom du bien commun.
Mais à l’heure où le multilatéralisme traverse une crise de confiance, rien n’est encore joué. La fenêtre de négociation reste étroite, et les compromis devront être à la hauteur de l’urgence écologique.