OMS : progrès africains contre le tabac, mais insuffisants

Alors que la consommation mondiale de tabac est en baisse continue, passant de 33% de la population adulte en 2000 à moins de 20% en 2024, l’Afrique se distingue par une dynamique plus contrastée. Si la proportion de fumeurs y reste parmi les plus faibles au monde, le nombre absolu d’usagers augmente, sous l’effet combiné de la croissance démographique rapide, du marketing agressif de l’industrie du tabac et des faiblesses persistantes dans l’application des politiques publiques.
Une hausse du nombre de fumeurs en Afrique
D’après les estimations de l’OMS, plus de 65 millions d’Africains de 15 ans et plus consommaient du tabac en 2024, contre environ 59 millions en 2010. Le rapport prévoit une augmentation continue d’ici à 2030. Cette tendance contraste fortement avec la situation mondiale, où le nombre total d’usagers est passé de 1,379 milliard en 2000 à 1,202 milliard en 2024, et devrait encore diminuer à 1,196 milliard en 2025.
L’OMS explique cette divergence par la croissance démographique rapide du continent, combinée à des politiques antitabac encore inégales. « Le nombre d’hommes consommateurs de tabac continue d’augmenter en Afrique et au Moyen-Orient, tandis qu’il baisse dans toutes les autres régions », souligne le rapport.
En 2024, la prévalence du tabac en Afrique atteignait 9,5% de la population adulte, soit 16,6% chez les hommes et 2,5% chez les femmes, des taux bien inférieurs à ceux observés en Europe (24,1%) ou en Asie du Sud-Est (23,4%). Cependant, les projections de l’OMS indiquent que le continent est l’un des rares à ne pas connaître de baisse du nombre absolu d’usagers, ce qui pourrait compromettre les progrès sanitaires à long terme.
« Les pays africains réalisent des progrès en matière de réduction du tabagisme, mais ces progrès sont insuffisants pour inverser la croissance du nombre total de fumeurs », avertit l’organisation.
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Les taux de tabagisme varient considérablement d’un pays à l’autre. En Algérie, la prévalence dépasse 22% de la population adulte, contre 6,6% au Bénin ou 5% au Cameroun. Dans plusieurs pays comme le Burkina Faso, le Burundi ou la République démocratique du Congo, le tabagisme reste principalement masculin et lié à des facteurs socio-économiques.
L’OMS note aussi une faible prévalence du tabac chez les femmes africaines, inférieure à 3% dans la majorité des pays, un niveau qui pourrait toutefois augmenter sous l’influence du marketing ciblé de l’industrie du tabac et de la montée des produits alternatifs, tels que les cigarettes électroniques.
Les jeunes, une cible vulnérable
Le rapport souligne une prévalence moyenne de 10% de l’usage du tabac chez les adolescents africains âgés de 13 à 15 ans, avec une nette prédominance masculine (11,9% contre 8,1% chez les filles). Cela représente environ 8,7 millions de jeunes utilisateurs sur le continent.
L’OMS met en garde contre une hausse potentielle de l’usage des cigarettes électroniques dans cette tranche d’âge. Bien que les données restent limitées, la diffusion rapide de ces produits non réglementés pourrait « saper les efforts de prévention » si des mesures de contrôle ne sont pas mises en œuvre rapidement.
Selon l’OMS, 182 des 194 États membres ont ratifié la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT), adoptée en 2005. Plusieurs pays africains ont depuis introduit des lois interdisant la publicité et le parrainage du tabac, augmenté les taxes et apposé des avertissements sanitaires sur les paquets.
Toutefois, l’application demeure lacunaire dans de nombreuses juridictions. Le commerce illicite, la publicité indirecte et le faible financement des programmes de santé publique limitent l’efficacité de ces mesures.
Le docteur Ranti Fayokun, du bureau régional de l’OMS pour l’Afrique, souligne que « la priorité est désormais de renforcer les systèmes de surveillance, d’améliorer la taxation du tabac et d’intégrer la lutte antitabac dans les stratégies nationales de santé ».
Le poids démographique, un défi structurel
L’un des paradoxes du continent réside dans la combinaison d’une prévalence faible mais d’une population croissante. Même une baisse modeste des taux de tabagisme ne suffit pas à compenser l’augmentation du nombre d’adultes.
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Ainsi, selon les projections, l’Afrique comptera davantage de fumeurs en 2030 qu’en 2020, alors même que la proportion de fumeurs par habitant pourrait continuer de diminuer légèrement.
L’OMS souligne que « le risque est de voir le continent devenir la nouvelle cible de l’industrie du tabac, qui cherche à compenser la baisse de ses marchés traditionnels ».
Outre l’impact sanitaire — près de 8 millions de décès liés au tabac chaque année dans le monde, dont un nombre croissant en Afrique —, le coût économique est considérable. Les dépenses de santé liées au tabagisme, la perte de productivité et les conséquences environnementales pèsent déjà lourdement sur les économies africaines.
L’OMS recommande des mesures fiscales plus ambitieuses, soulignant que l’augmentation des taxes sur le tabac est « l’une des interventions les plus efficaces et les plus rentables pour réduire la consommation ». Pourtant, dans de nombreux pays africains, les produits du tabac demeurent relativement bon marché, rendant leur accessibilité particulièrement élevée pour les jeunes.
Malgré les défis, le rapport laisse entrevoir des raisons d’espérer. Plusieurs pays africains, dont le Kenya, le Sénégal, l’Afrique du Sud et Maurice, ont réussi à réduire significativement le tabagisme grâce à des politiques coordonnées. Selon l’OMS, ces expériences montrent que des progrès rapides sont possibles lorsque la volonté politique et les ressources sont alignées.
« Le continent africain a aujourd’hui l’opportunité d’éviter la trajectoire épidémique observée ailleurs », conclut le rapport. Mais cela exige une vigilance accrue face à la diversification des produits nicotiniques et un engagement renouvelé à faire de la prévention du tabagisme un pilier central de la santé publique.