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Le dilemme de l’Algérie post-2019

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Le dilemme de l'Algérie post-2019Les Algériens portent un drapeau national géant lors d’une manifestation à Alger, en Algérie, le le 15 mars 2019 (photo d’illustration). © Toufik Doudou/AP/SIPA

Une analyse approfondie de Abdessalam Jaldi, chercheur au Policy Center for the New South (PCNS), explore les enjeux cruciaux auxquels l’Algérie fait face après 2019. Si le mouvement du Hirak a révélé une soif de réformes et un désir de rupture avec les pratiques politiques et économiques du passé, la réponse des autorités a été bien loin des attentes populaires. Les détails.

 

L’Algérie post-2019 est une période charnière pour le pays, caractérisée par un paradoxe flagrant entre les aspirations populaires exprimées lors du mouvement du Hirak et les évolutions politiques, sociales et économiques qui ont suivi. En février 2019, un soulèvement inédit a secoué l’Algérie, entraîné par le refus de la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat, à la tête d’un régime politique sclérosé.

La contestation populaire, d’une ampleur sans précédent, a cristallisé des revendications fortes : une rupture avec les pratiques de la première République dominée par l’armée, une transformation radicale du système politique et une diversification économique loin de la dépendance aux hydrocarbures.

Ce soulèvement, baptisé Hirak, a été un appel à une « deuxième République », démocratique et transparente. Mais la réponse des autorités à cette demande de transformation radicale a été bien en deçà des attentes. Si la démission de Bouteflika en avril 2019 a semblé répondre, au moins symboliquement, à l’appel des manifestants, elle n’a pas conduit à une ouverture démocratique réelle. Au contraire, elle a ouvert la voie à une consolidation du pouvoir militaire, avec une prise en main des affaires civiles par l’armée, un phénomène qui s’est amplifié sous le président Abdelmadjid Tebboune.

Selon l’analyse d’Abdessalam Jaldi, chercheur au Policy Center for the New South (PCNS), cette militarisation du pouvoir s’est traduite par un renforcement de l’influence de l’armée sur les décisions politiques majeures, notamment via son chef d’état-major, Saïd Chengriha, et par une série de réformes symboliques qui n’ont pas permis d’instituer un changement réel.

Le régime militaire et l’érosion des libertés individuelles

Le retour au pouvoir de l’armée, déjà prégnant sous le mandat de Tebboune, a eu des répercussions directes sur les libertés civiles et l’espace démocratique en Algérie. Le chercheur souligne que l’un des principaux effets de cette situation a été une restriction drastique des libertés individuelles, notamment la liberté d’expression, d’association et de manifestation. Des lois répressives ont été adoptées pour étouffer les voix dissidentes, et plusieurs militants du Hirak, journalistes et défenseurs des droits humains ont été arrêtés, emprisonnés et condamnés. Parmi les figures emblématiques de la répression, on trouve Ihsane El Kadi, un journaliste réputé, et Zakaria Hannache, défenseur des droits humains. Des arrestations qui témoignent d’un climat de répression systématique visant à dissuader toute forme de contestation.

L’Algérie post-2019, telle qu’analysée par Abdessalam Jaldi, semble se situer aux antipodes des revendications originelles du Hirak. L’aspiration à une « deuxième République » civile et démocratique a été déjouée par l’omniprésence de l’armée dans la gestion des affaires publiques. La Constitution révisée en 2020 a été une tentative d’adaptation formelle aux aspirations du peuple, mais elle est perçue par beaucoup comme une tentative de légitimer la mainmise de l’armée sur le pouvoir. Des réformes comme la révision de la Constitution n’ont pas suffi à répondre aux attentes populaires de changement structurel profond. Les libertés, bien que théoriquement garanties par le texte constitutionnel, sont soumises à des dérogations qui peuvent être imposées pour des raisons de « maintien de l’ordre public ». Ces exceptions juridiques ont permis à l’armée de justifier ses interventions dans la sphère politique et sociale, réduisant ainsi la portée des réformes promises.

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Une économie toujours dépendante des hydrocarbures

Depuis 2019, l’Algérie fait face à d’importants défis économiques, principalement liés à la persistance de sa dépendance aux hydrocarbures. Même si des initiatives comme la création de l’usine Fiat à Oran ont été présentées comme des pas vers une diversification de l’économie, elles demeurent largement insuffisantes au regard de la domination continue des ressources énergétiques. En effet, le secteur des hydrocarbures reste la colonne vertébrale de l’économie, représentant une part majeure du PIB, des exportations et des recettes budgétaires du pays.

Cette dépendance a été exacerbée par les fluctuations des prix mondiaux du pétrole et du gaz, rendant l’Algérie particulièrement vulnérable aux crises extérieures. Malgré les efforts du président Tebboune pour promouvoir une diversification économique, les résultats restent en deçà des attentes. Bien que la croissance du PIB ait affiché une hausse de 3,9% au premier semestre 2024, la situation économique demeure précaire. L’inflation, la stagnation des salaires et l’augmentation du coût de la vie alimentent un mécontentement populaire grandissant, tandis que les dépenses publiques liées aux subventions continuent de grever les finances de l’État. En parallèle, les investissements dans des secteurs comme l’industrie et l’agriculture peinent à se concrétiser.

Ce manque de diversification se reflète également dans la stagnation du secteur des hydrocarbures, où la production n’a guère progressé au cours des dix dernières années. Bien que Sonatrach, la société nationale pétrolière, fasse partie de l’OPEP, elle n’a pas les ressources nécessaires pour dynamiser la production. Ce paradoxe – où l’Algérie bénéficie d’une rente énergétique substantielle tout en restant vulnérable à la crise du secteur – met en lumière l’inefficacité des projets de diversification. L’insatisfaction populaire croît face à la promesse non tenue d’une économie plus résiliente, diversifiée et moins dépendante des fluctuations des prix mondiaux des hydrocarbures.

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La diplomatie et l’isolement de l’Algérie

Sur le plan international, l’Algérie a tenté de renforcer sa position en tant qu’acteur stratégique sur la scène internationale, notamment grâce à sa capacité énergétique. Cependant, malgré des démarches visant à se rapprocher des BRICS et des pays émergents, elle a rencontré plusieurs revers diplomatiques. Le refus de son adhésion au groupe des BRICS et sa perte d’influence dans la région du Sahel sont des signes de l’échec de sa diplomatie à s’imposer sur la scène mondiale.

L’isolement diplomatique du pays, couplé à des tensions internes croissantes, a compliqué la situation géopolitique de l’Algérie. Bien qu’elle jouisse d’une position stratégique en Afrique du Nord, l’Algérie n’a pas réussi à renforcer son influence internationale de manière significative. Sa politique étrangère, marquée par des hésitations et des contradictions, n’a pas permis au pays d’accroître son poids dans les affaires mondiales.

Les relations de l’Algérie avec ses voisins, en particulier dans la région du Sahel, sont également marquées par une absence de leadership concret. Ce manque d’une vision cohérente et d’une capacité de leadership dans la gestion des crises régionales fragilise la diplomatie algérienne, limitant ses ambitions de jouer un rôle majeur sur la scène internationale. Parallèlement, la crise des relations algéro-marocaines continue de façonner la géopolitique maghrébine. En guerre froide avec le Maroc et en crise ouverte avec l’Union du Maghreb Arabe (UMA), l’Algérie cherche à renforcer son hégémonie sur le Maghreb à travers une nouvelle initiative d’intégration, soutenue par Tunis et Tripoli. Excluant délibérément le Maroc, cette initiative vise à instaurer un leadership algérien dominant, en particulier autour des enjeux énergétiques et du développement des régions frontalières, tout en prolongeant son affrontement avec Rabat.

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