Africa Corps : la nouvelle vitrine militaire de la Russie au Sahel

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Africa Corps : la nouvelle vitrine militaire de la Russie au SahelLe président malien Assimi Goita entouré par des soldats © DR

Selon le dernier rapport du Timbuktu Institute, le remplacement de Wagner par Africa Corps marque une nouvelle étape dans la stratégie russe en Afrique. Placée sous l’autorité du ministère de la Défense, cette force soutient les régimes militaires sahéliens, sécurise l’accès aux ressources, noue des partenariats économiques et combat l’influence occidentale. Officiellement engagée, la Russie renforce ainsi son emprise dans la région, malgré des accusations persistantes de violences et de violations des droits humains.

« Les hommes passent et les institutions demeurent », cette citation pourrait parfaitement s’appliquer à la pratique des mercenaires du groupe Wagner. Après l’officialisation de leur départ du Mali, le 6 juin 2025, les militaires russes restent pourtant présents dans le pays. Ils ont simplement été remplacés par Africa Corps, une entité directement placée sous l’autorité du ministère russe de la Défense. Cette transition marque à la fois l’officialisation et l’institutionnalisation de la stratégie militaire de Moscou au Sahel. Ce basculement s’inscrit dans une logique d’enracinement durable de l’influence russe en Afrique de l’Ouest, comme l’explique le Timbuktu Institute dans sa dernière publication intitulée « Repositionnement de la Russie au Sahel : De Wagner à Africa Corps ».

Selon le Timbuktu Institute, le remplacement de Wagner par Africa Corps ne marque pas une rupture, mais plutôt une continuité sous un nouveau visage. Le rapport révèle que 70 à 80% des membres actuels d’Africa Corps sont d’anciens combattants de Wagner, ce qui permet de conserver les mêmes méthodes et réseaux. Sur le terrain, les missions restent similaires : opérations conjointes avec les armées locales, cogestion des postes de commandement, formation au renseignement et à la discipline militaire.

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Cette continuité se manifeste aussi par un renforcement de l’empreinte opérationnelle russe, avec la rénovation de bases militaires près de Bamako, l’acheminement de véhicules blindés et d’artillerie lourde, et même le déploiement de bombardiers tactiques, comme celui qui s’est écrasé le 14 juin à Gao.

Africa Corps est bien plus qu’un simple instrument militaire : il constitue un levier stratégique au service des ambitions russes en Afrique. Le rapport du Timbuktu Institute identifie quatre objectifs principaux : protéger les régimes militaires, sécuriser l’accès aux ressources naturelles, établir des partenariats durables dans les secteurs de l’énergie et des infrastructures et affaiblir l’influence occidentale, notamment celle de la France. Contrairement aux puissances occidentales, ce soutien est accordé sans conditionnalité démocratique ni exigences en matière de droits humains, ce qui contribue à renforcer des régimes autoritaires en quête de légitimité.

Héritage de violence et d’impunité

Malgré le changement de nom, Africa Corps semble reproduire les pratiques violentes héritées de Wagner. Exécutions extrajudiciaires, actes de torture et arrestations arbitraires continueraient d’être perpétrés en toute impunité. Le rapport souligne que ces abus alimentent la méfiance des populations envers les autorités et créent un terreau fertile pour les groupes terroristes.

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Le JNIM, affilié à al-Qaïda, tire parti de cette situation pour se présenter comme le défenseur des populations persécutées. Les exactions commises par les partenaires russes sont ainsi exploitées comme levier de recrutement, fragilisant encore davantage la stabilité déjà précaire de cette partie du Sahel.

Désinformation et influence médiatique

Le volet informationnel de la stratégie russe est également central. Le Timbuktu Institute dénonce de vastes campagnes de désinformation, orchestrées par l’agence African Initiative, le bras médiatique du Kremlin en Afrique. Ces opérations visent à discréditer la démocratie, à vilipender les puissances occidentales, tout en présentant la Russie comme un rempart contre le néocolonialisme et un garant de la souveraineté africaine.

Des contenus produits localement, parfois dans les langues nationales, sont diffusés via les médias locaux, les réseaux sociaux et une armée d’influenceurs rémunérés, appelés « buzzers ». Cette guerre informationnelle vise à façonner une opinion publique favorable à la Russie et à affaiblir le discours pro-occidental dans les pays sahéliens.

Vers un terrain d’affrontements indirects

À plus long terme, cette dynamique s’inscrit dans un contexte de rivalités géopolitiques croissantes, notamment en lien avec la guerre en Ukraine. Le rapport avertit que le renforcement de l’influence russe dans la région pourrait provoquer une réaction en chaîne, marquée par une intensification des confrontations indirectes. Des incidents comme l’embuscade meurtrière d’Anoumalane en juin, au cours de laquelle plusieurs soldats russes ont été tués, pourraient se multiplier si les tensions se cristallisent autour de groupes armés soutenus par l’OTAN ou l’Ukraine.

Ce changement incarné par Africa Corps marque une nouvelle phase de l’interventionnisme russe en Afrique. La stratégie du Kremlin apparaît désormais plus assumée et plus structurée. Ce jeu d’influence risque d’alimenter davantage l’insécurité dans cette partie du Sahel, tout en installant la Russie comme un acteur central d’un nouvel ordre régional, au détriment des libertés et de la paix.

 

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