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Libye : histoire d’un pays déchiré

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Après une décennie de chaos, la Libye est engagée dans un long processus de sortie de crise. La position stratégique de ce pays situé au cœur de la région méditerranéenne au Maghreb et aux portes de l’Afrique subsaharienne, ainsi que ses ressources énergétiques importantes font qu’il est aujourd’hui, comme il l’a été par le passé, au carrefour des politiques idéologiques et économiques.

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La Libye tente de réaffirmer sa souveraineté en tant qu’État alors que le pays a vécu une véritable guerre civile depuis la chute du régime d’Al-Kadhafi en 2011. Durant cette décennie noire, les acteurs extérieurs engagés sur le front libyen ont renforcé leurs positions afin de contrôler ce pays maghrébin à fort potentiel. Il faut dire qu’avant même la découverte du pétrole, cette précieuse bande côtière d’Afrique du Nord a toujours été au centre des convoitises des grandes puissances occidentales.

[Timeline à consulter en fin d’article]

 

Les origines

Le nom de « Libye » remonte à l’âge du Bronze. Les « Libw » sont les habitants blancs de ce vaste territoire « sans limites » selon les légendes anciennes. Colonisé tour à tour par les Phéniciens, les Grecs, les Romains, les Vandales et les Byzantins, le pays tombe dans l’orbite arabe à partir de 643. Tandis que la Cyrénaïque garde une certaine importance comme zone de passage entre Alexandrie et Kairouan, et est islamisée par des tribus nomades venues de Haute-Égypte (XIe siècle), la Tripolitaine passe dans la mouvance de Tunis ; la dynastie des Banu Ammar se maintient indépendante de 1327 à 1401. Avec le déclin des dynasties berbères locales aux XVe et XVIe siècles, cette zone à l’extrême Nord du continent africain – connue de par son peuplement par les Berbères sous le nom de « côte de Barbarie » – attire l’attention des deux États méditerranéens les plus puissants de l’époque : l’Espagne à l’Ouest, la Turquie à l’Est.

La rivalité hispano-turque dure une grande partie du XVIe siècle, mais elle est progressivement gagnée de manière peu loyale par les Turcs. Ces derniers ont permis aux pirates de s’établir le long de la côte. Les territoires saisis par les corsaires reçoivent alors un statut formel de protectorats de l’empire ottoman. Les pirates s’implantent solidement en Libye vers 1551. La piraterie reste le but principal et la principale source de revenus de toutes ces colonies turques le long de la côte de Barbarie. Les déprédations de la piraterie se poursuivront trois siècles sous l’empire ottoman. L’Italie ne délogera les Turcs de Libye qu’en 1912.

En revenant en arrière, le contrôle turc sur la région de la Libye moderne n’était pas maîtrisé pendant une grande partie de la période ottomane. Dans la région occidentale, la Tripolitaine, les descendants d’un gouverneur ottoman, Ahmad Karamanli, acquièrent des droits héréditaires de pachas en 1711 et les conservent jusqu’en 1832. Dans le district oriental de la Cyrénaïque, le vrai pouvoir appartient aux Senoussi, adeptes d’un religieux du XIXe siècle. Réformateur, Senoussi Al-Kabir est une personne pieuse dont la vie sunnite stricte et simple s’avère populaire auprès des tribus bédouines. Mais le retrait éventuel des Turcs de la région n’est pas le résultat d’un antagonisme local. Il découle de la volonté de l’Italie, tardive dans la ruée impériale, d’améliorer sa présence sur les terres africaines.

 

L’ère coloniale

Dans la première décennie du XXe siècle, l’Algérie et la Tunisie sont françaises. L’Égypte est britannique. La Libye, située entre ces régions française et britannique, est une partie de l’Afrique du Nord dans laquelle l’Italie a développé de vastes intérêts commerciaux. En 1900, les gouvernements français et italien parviennent à un accord secret. La France a des visées sur le Maroc, l’Italie sur la Libye. Chacun laissera à l’autre carte blanche. En 1911, l’Italie trouve une raison d’envoyer un ultimatum de 24 heures à la Turquie, exigeant la présence de troupes italiennes en Tripolitaine et en Cyrénaïque pour protéger la population italienne locale. Ceci est suivi un jour plus tard par une déclaration de guerre et une invasion presque immédiate de ce pays d’Afrique du Nord.

Les Italiens se voient confrontés à une vive résistance des membres de la tribu Senoussi au nom de leurs maîtres impériaux, qui sont de leur point de vue au moins des musulmans. Mais à l’automne 1912, la Turquie, en proie à des troubles ailleurs, est prête à céder. Aux termes d’un traité signé en octobre à Lausanne, la Tripolitaine et la Cyrénaïque sont cédées à l’Italie. La nouvelle puissance impériale occupe bientôt également le Fezzan, une région au Sud-Ouest sous contrôle de Senoussi. Avec l’annexion du Fezzan, la Libye moderne prend forme, bien que pour l’instant seulement comme une vaste zone vivant une vraie souffrance et très en colère contre l’occupation italienne.

 

Les deux Guerres

Pendant l’occupation italienne, la Libye vit les épisodes des deux Guerres mondiales et la montée du fascisme. Ces événements ont des effets profonds et différents sur le pays. Les exigences de la Première Guerre mondiale entraînent le retrait des troupes italiennes jusqu’à ce que seules les villes côtières de la Libye restent sous le contrôle du colonisateur. Ailleurs, le contrôle revient au réseau des zaouïas locales de Senoussi. Après la guerre, le leader Senoussi Mohamed Idriss, tente de parvenir à un compromis avec les Italiens. En 1920, il reconnaît leur souveraineté sur la Cyrénaïque côtière. En retour, il reçoit le titre d’émir.


Mais cette relation difficile s’effondre avec la naissance du fascisme. Idriss s’enfuit en 1923 en Égypte, tandis que les gouverneurs fascistes en Libye prennent des mesures énergiques – y compris le recours aux camps de concentration – pour mater la résistance en Tripolitaine et en Cyrénaïque. Entretemps, Omar Al-Mokhtar, héros national de la Libye et membre de la Zaouïa Senoussiya dirige la résistance anticoloniale en Cyrénaïque de 1923 à 1931. Cet humble enseignant religieux devenu combattant de la liberté sera exécuté par pendaison, devenant un symbole pour l’ensemble des Libyens et au-delà jusqu’à aujourd’hui.


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Même Al-Kadhafi se l’était approprié durant ses 40 ans à la tête du pays, en mettant son portrait sur le billet de 10 dinars et en finançant une bonne partie des 30 millions de dollars du budget du film « Le Lion du désert », consacré à la vie d’Omar Al-Mokhtar incarné par Anthony Quinn.


La Seconde Guerre mondiale signe enfin le retour des Senoussi. En tant qu’ennemis de l’Italie, ils sont les alliés naturels de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Ils participent à la très importante campagne de 1942-1943 qui chasse les armées italienne et allemande d’Afrique du Nord. Pendant les derniers stades de la guerre et dans la période immédiate après-guerre, la Tripolitaine et la Cyrénaïque sont administrées par les Britanniques, tandis que le Fezzan est sous le contrôle des Français. Mais il est convenu que l’avenir de la Libye sera soumis aux Nations Unies. Le résultat est une résolution pour l’indépendance de la Libye.


La parenthèse monarchique

En décembre 1950, une assemblée nationale représentant les trois provinces élit Mohamed Idriss Roi de Libye. Sous le nom d’Idriss 1er, il déclare formellement l’indépendance du nouvel État le 24 décembre 1951. Idriss règne comme un monarque à l’ancienne dans une simplicité consternante. Pendant les huit premières années de son règne, le Royaume de Libye est peu développé avec une économie de subsistance stimulée par les revenus des bases aériennes britanniques et américaines et par l’aide internationale. Cette situation changera profondément en 1959 par la découverte d’importantes réserves de pétrole. Le roi Idriss Ier, avec le luxe désormais d’un revenu national massif, commence à affirmer la nouvelle indépendance de la Libye. Des négociations sont engagées pour obtenir le retrait des troupes étrangères du sol libyen.

Mais l’allure tranquille du Roi est soudainement dépassée. En 1969, absent du pays à l’occasion d’une visite en Turquie, il est renversé par un coup d’État sans effusion de sang dirigé par un capitaine de 27 ans, Mouammar Al-Kadhafi. Le prince héritier, Hassan Reda Al-Senoussi et d’autres personnalités de l’ancien régime sont arrêtés. S’en est fini de la monarchie.

 

Le régime d’Al-Kadhafi

La République libyenne dirigée par le désormais Colonel commandant de la révolution, Mouammar Al-Kadhafi, est née. Le slogan « Liberté, socialisme, unité arabe » est au cœur du programme du nouveau régime qui adopte des mesures restrictives à l’endroit des compagnies de pétrole. Admirateur du président égyptien Abdel Nasser, Mouammar Al-Kadhafi fait évacuer les bases appartenant aux Britanniques et aux Américains. Al-Kadhafi expulse en 1970 la quasi-totalité des Italiens et des Juifs vivant en Libye. 

Un élément supplémentaire est ajouté dans un nouveau nom du pays, introduit en 1977. Il doit maintenant être connu sous le nom de Jamahiriya arabe libyenne socialiste et populaire. L’expression Jamahiriya (gouvernement par les masses) implique que le pouvoir est transféré à quelque 1500 comités locaux. Mais la réalité c’est que le pouvoir reste concentré entre les mains d’Al-Kadhafi. Le « Guide suprême de la révolution » ordonne le changement du drapeau qui datait de l’époque monarchique et adopte le seul drapeau unicolore au monde. Sa couleur est verte et il ne comporte aucun signe ou symbole.


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L’ancien drapeau ne sera réadopté qu’après la chute du régime d’Al-Kadhafi en 2011. Les divers fondements de sa politique – Islam, nationalisme arabe, socialisme – sont regroupés dans son manifeste personnel « Le Livre vert » (publié en deux volumes, en 1976 et 1980). Il fera office de Loi suprême du pays. Craint plus qu’aimé dans son pays, Al-Kadhafi est impopulaire sur la scène internationale du fait de son utilisation des richesses pétrolières de la Libye pour se mêler des affaires d’autres nations. Ses relations sont souvent tendues avec l’Egypte et le Tchad voisins.

Plus loin, des commandos éliminent les opposants libyens vivant à l’étranger et les fonds libyens soutiennent les activités terroristes dans les régions les plus reculées du monde. Pour démontrer l’engagement des États-Unis contre le terrorisme international, le président Reagan lance en avril 1986 une frappe contre ce que l’on dit être des cibles terroristes à Tripoli et Benghazi. Divers membres de la famille d’Al-Kadhafi sont tués ou blessés, et lui-même échappe de justesse à la mort.


L’autre épisode qui exacerbera les tensions entre la Libye et les puissances occidentales interviendra en 1988 suite à la catastrophe aérienne de Lockerbie. Un avion de ligne de la compagnie Pan Am explose au-dessus de Lockerbie en Écosse, tuant les 259 personnes à bord et 11 autres au sol. Des preuves suggèrent que deux Libyens sont responsables de la pose d’une bombe à bord de l’avion à Paris. Mais Al-Kadhafi refuse résolument de remettre les deux suspects pour qu’ils soient jugés. Ce refus conduit à des sanctions approuvées par l’ONU à partir de 1993. Un embargo est mis sur le commerce et l’aérien avec la Libye, suivi d’une interdiction de vendre les équipements nécessaires à l’industrie pétrolière.

Ne faisant plus confiance aux dirigeants arabes à cause de leur manque de soutien, Al-Kadhafi se tourne vers l’Afrique. Il multiplie les initiatives et se trouve un statut de leader panafricain rêvant même de la création des États-Unis d’Afrique. L’isolement de la Libye commence à prendre fin au début du nouveau millénaire après qu’Al-Kadhafi ait autorisé les suspects de Lockerbie à être jugés aux Pays-Bas. Les sanctions de l’ONU sont suspendues et la Libye commence à essayer d’attirer les touristes sur ses célèbres sites archéologiques.

En décembre 2007, Al-Kadhafi est reçu à bras ouvert par le président français Nicolas Sarkozy à Paris qu’on ne soupçonne pas à l’époque d’avoir obtenu un quelconque soutien financier libyen pour sa campagne électorale. Officiellement, l’Élysée s’était targué d’avoir obtenu des contrats représentant une dizaine de milliards d’euros pour des avions et des hélicoptères français qui ne seront finalement jamais livrés. Ironie du sort, ce sont ces mêmes appareils qui participeront, moins de trois ans et demi plus tard, aux frappes contre le régime libyen puis à la chute et à la mort d’Al-Kadhafi.

 

La guerre civile

Le Printemps arabe a emporté Mouammar Al-Kadhafi et sa Jamahiriya. Mais la chute du régime du colonel Mouammar Al-Kadhafi, après 42 ans de règne, provoque le chaos. L’instabilité et la guerre en Libye perdurent depuis 2011. Tout d’abord, un Conseil national de transition (CNT) est formé en 2011. Puis, en 2012, des élections sont organisées. Remportées par les libéraux, elles sont rejetées par les autres courants. Le Congrès général national (CGN) prend le pouvoir et remplace le CNT. Le gouvernement est formé par Ali Zaidan et deux ans plus tard, en 2014, il est obligé de démissionner et de quitter le pays sous la menace. Cette même année au mois de juin, de nouvelles législatives sont organisées avec au bout du compte des résultats semblables à ceux de 2012. Le mois de juillet 2014 connaîtra une opération majeure dans la crise que vit la Libye. Baptisée « Fajr Libya », cette attaque oblige le Parlement issu des élections de 2014 à s’enfuir à l’Est du pays à Tobrouk alors que le gouvernement prend ses quartiers à Al-Baïda. À l’Ouest, un autre exécutif est formé par les conservateurs à Tripoli. Ce dernier reste en place jusqu’à l’arrivée du gouvernement de Fayez Al-Sarraj, en mars 2016, suite à l’accord de Skhirat signé fin 2015.


Parallèlement à ces événements, en 2014, Khalifa Haftar lance son opération « Al-Karama » pour « se débarrasser des groupes extrémistes à Benghazi ». En réalité, le maréchal Haftar veut montrer qu’il peut venir à bout des terroristes, notamment ceux d’Ansar Al-Charia et de Daech. Haftar reprend également, en 2016, le croissant pétrolier. En avril 2019, avec le feu vert de l’administration Trump, le maréchal part à la conquête de Tripoli. Les combats font rage et Haftar refuse tout accord de paix avec Fayez Al-Sarraj.

Sous la houlette du président français Emmanuel Macron, un accord est ficelé pour des élections en 2019. En mai-juin 2020, avec l’aide de drones turcs, les milices qui tiennent Tripoli contre-attaquent victorieusement et repoussent les forces pro-Haftar jusqu’à Syrte. Après plusieurs rounds de pourparlers interlibyens en Tunisie, en Egypte, en Suisse et au Maroc, le forum de dialogue libyen, dont les membres ont été choisis par l’ONU, désigne le 5 février 2021 le nouvel exécutif avec à sa tête Mohamed Al-Menfi et Abdelhamid Dbeibah, respectivement président du Conseil présidentiel et premier ministre.

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D’ici le 24 décembre prochain, le nouvel exécutif libyen doit organiser des élections dans le 4e plus grand pays d’Afrique en termes de superficie, un pays dont les 6 millions d’habitants sont fatigués après une décennie d’instabilité et par la présence de militaires étrangers notamment turcs et russes. Ces derniers ne sont pas là pour les plus de 90% de territoire désertique mais pour le positionnement stratégique du pays et pour ses ressources énergétiques plus qu’abondantes. Quand est-ce que les Libyens prendront leur destin en main ? Goûteront-ils un jour à la démocratie ?

 

 

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