L’enfance face la pauvreté, les crises et les conflits
À l’heure où la population mondiale vieillit, l’Afrique subsaharienne reste le seul continent où le nombre d’enfants continue de croître rapidement. D’ici à 2050, un enfant sur trois dans le monde vivra en Afrique. Une opportunité démographique, soulignent les économistes, mais à condition de renforcer l’éducation, la santé et la protection sociale. Sans cela, le « dividende démographique pourrait se transformer en déficit générationnel ».
La situation actuelle est préoccupante : 311 millions d’enfants africains vivent avec moins de 3 dollars par jour, seuil de pauvreté extrême. Contrairement à d’autres régions, l’Afrique n’a enregistré aucune amélioration notable depuis 2014, le taux de pauvreté infantile extrême restant autour de 52%, un immobilisme lourd de conséquences.
Des vies façonnées par la pauvreté dès la naissance
La pauvreté monétaire n’est qu’une facette du problème. Le rapport souligne la pauvreté « multidimensionnelle », qui englobe l’accès à l’éducation, à l’eau, à un logement décent, à la santé et à une alimentation adéquate.
L’Afrique enregistre là encore les taux les plus élevés : dans plusieurs pays, plus de 60% des enfants cumulent au moins deux privations sévères. L’assainissement, l’accès à l’eau potable et la qualité du logement figurent parmi les carences les plus répandues. La fracture numérique accentue ces inégalités : dans certaines zones rurales, jusqu’à 75% des adolescents n’ont pas accès à Internet, un facteur aggravé par l’expérience du COVID-19, qui a déplacé une partie de l’enseignement vers le numérique.
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Climat : l’autre ennemi silencieux
Pour les enfants africains, le changement climatique n’est pas une menace future, mais une réalité quotidienne. Sécheresses prolongées, inondations, cyclones, insécurité alimentaire et déplacements internes frappent des pays déjà vulnérables. Selon l’UNICEF, quatre enfants africains sur cinq sont exposés chaque année à au moins un risque climatique extrême.
L’histoire d’Ompfuna, 10 ans, illustre ce quotidien. Vivant sur les rives instables du fleuve Jukskei, à Alexandra près de Johannesburg, elle joue à quelques mètres d’un terrain qui s’effondre chaque saison des pluies. À un kilomètre de là, les pelouses impeccables de Sandton, symbole de prospérité sud-africaine, contrastent avec les inégalités d’accès aux infrastructures de sécurité. Cette exposition accrue aux catastrophes climatiques renforce la pauvreté : pertes de maisons, destruction de cultures, fermetures d’écoles et déplacements massifs.
Conflits : un fléau en expansion
L’Afrique figure parmi les régions les plus touchées par les conflits contemporains, du Sahel à la Corne de l’Afrique, en passant par l’est de la RDC. En 2024, près d’un enfant sur cinq dans le monde vivait en zone de conflit, un taux presque doublé par rapport aux années 1990.
Dans ces contextes fragilisés, la pauvreté extrême frappe encore davantage : 50% des enfants en situation de conflit vivent sous le seuil de pauvreté monétaire, contre 11,4% dans les pays stables. Les conséquences se font sentir sur le long terme : traumatismes psychologiques, interruptions scolaires, exploitation, déplacements forcés et risques accrus de mariages précoces.
L’exemple d’Astride, adolescente congolaise de 16 ans contrainte de travailler dans les mines artisanales de cuivre pour 2 dollars par jour après la maladie de son père, illustre les dérives extrêmes provoquées par l’instabilité et l’absence de services publics.
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La crise de la dette : un piège pour l’avenir
Le rapport souligne un autre danger, moins visible mais tout aussi destructeur : la crise de la dette extérieure. Quarante-cinq pays en développement, majoritairement en Afrique, consacrent davantage de ressources aux intérêts de leur dette qu’à la santé. Vingt-deux d’entre eux dépensent plus pour rembourser leur dette qu’en éducation.
Ce déséquilibre empêche les États d’investir dans les infrastructures essentielles à la protection des enfants, comme les écoles, les hôpitaux ou les filets sociaux. L’UNICEF alerte sur le risque de former une génération « endettée », c’est-à-dire des enfants dont les perspectives sont compromises par des choix budgétaires qui les marginalisent.
Quand la société civile et la jeunesse réinventent la résilience
Malgré ces défis, l’Afrique recèle des initiatives prometteuses : des travailleurs sociaux en RDC identifiant les familles vulnérables et facilitant l’accès aux aides financières, des programmes de formation accélérée comme celui qui a permis à Astride de devenir soudeuse, ainsi que des mobilisations communautaires et des actions menées par des jeunes de plus en plus organisés pour compenser les insuffisances de l’État.
Lors d’un atelier mondial organisé par l’UNICEF, ces jeunes Africains ont présenté des solutions innovantes : jardins communautaires pour lutter contre l’inflation alimentaire, programmes éducatifs alternatifs en zones rurales, radios scolaires diffusant des cours dans les langues locales, plateformes d’accompagnement psychosocial. Leur message est clair : « Être pauvre, ce n’est pas seulement manquer d’argent, c’est être abandonné ».
En conclusion, le rapport met en évidence une réalité alarmante tout en rappelant que la pauvreté infantile n’est pas une fatalité. Les pays ayant placé la protection de l’enfance au cœur de leurs priorités ont enregistré des progrès significatifs.
Pour l’Afrique, les décisions politiques des cinq prochaines années détermineront si le continent transformera son potentiel démographique en moteur de croissance ou si une génération entière sera sacrifiée.