Tchad : Succès Masra condamné à 20 ans de prison ferme

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Tchad : l’ancien Premier ministre Succès Masra condamné à vingt ans de prison fermeSuccès Masra,, ancien Premier ministre tchadien et chef de file du parti Les Transformateurs Succès Masra © DR

Le tribunal de grande instance de N’Djamena a condamné l’ex-Premier ministre et chef de l’opposition tchadienne, Succès Masra, à vingt ans de réclusion criminelle. Cette décision suscite l’indignation de ses partisans, qui dénoncent un procès politique dépourvu de preuves tangibles. Détails.

 

L’ancien Premier ministre et figure de proue du principal parti d’opposition au Tchad, « Les Transformateurs », Succès Masra, a été reconnu coupable de « diffusion de message à caractère haineux et xénophobe » et de « complicité de meurtre » dans l’affaire du drame de Mandakao. Ce conflit intercommunautaire, survenu le 14 mai dernier dans la région du Logone-Occidental (sud-ouest), a fait 42 morts selon la justice, « majoritairement des femmes et des enfants ».

Arrêté le 16 mai, Succès Masra était jugé depuis le jeudi 7 août pour une série de chefs d’accusation allant de l’incitation à la haine et à la révolte à la constitution de bandes armées, en passant par la complicité d’assassinat, l’incendie volontaire et la profanation de sépultures. Le parquet avait requis vingt-cinq ans de prison. Le tribunal a finalement prononcé une peine de vingt ans ferme, assortie d’une amende d’un milliard de francs CFA (environ 1,5 million d’euros).

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L’accusation repose en grande partie sur un message audio en langue ngambayé, présenté comme datant de 2023, dans lequel le leader de l’opposition appellerait à « apprendre à utiliser une arme à feu » et à être « des boucliers protecteurs ». La défense affirme que cet enregistrement ne saurait être lié aux événements de mai 2024 et dénonce une interprétation politique du dossier.

Une défense vent debout contre un procès « sans preuves »

Pour Francis Kadjilembaye, coordonnateur des avocats de la défense, ce jugement est une « humiliation » et une « ignominie ». « Il vient d’être condamné sur la base d’un dossier vide, de simples suppositions et en l’absence de preuves », a-t-il dénoncé auprès de l’AFP.

Même son de cloche au sein du parti Les Transformateurs. Lors d’un rassemblement au siège de la formation à N’Djamena, le deuxième vice-président, Dr Sitack Yombatinan Béni, a fustigé un verdict de « la honte ». « En droit pénal, il faut présenter des preuves pour condamner. Ici, aucune preuve n’a été apportée et des innocents ont été condamnés », a-t-il déclaré devant des militants mobilisés. Également pasteur, il a cité des versets bibliques condamnant les jugements iniques, exhortant les religieux et les fidèles à prier pour « la Justice au Tchad », estimant qu’« un pays sans juge fonce droit dans le mur ».

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Pour ses partisans, cette condamnation illustre la volonté du régime de neutraliser la principale voix dissidente avant les prochaines échéances politiques. Le remplacement provisoire de Succès Masra à la tête du parti par Bedoumra Kordjé, ancien ministre des Finances et ancien vice-président de la Banque africaine de développement, vise à maintenir la structure en activité malgré l’incarcération de son chef.               

De son côté, le gouvernement explique que la sévérité de la sentence s’explique par la gravité des accusations et l’impact des propos tenus par l’accusé, qu’il estime directement liés aux violences de Mandakao. La défense, au contraire, continue d’affirmer que l’affaire repose sur un montage politique et compte épuiser toutes les voies de recours.

Un parcours politique marqué par la confrontation avec le pouvoir

Âgé de 41 ans, économiste formé en France et au Cameroun, Succès Masra avait été nommé Premier ministre cinq mois avant l’élection présidentielle de mai 2024, à laquelle il s’était porté candidat face au président Mahamat Idriss Déby Itno, proclamé vainqueur avec plus de 60% des voix.

Depuis 2018, il était la figure d’opposition la plus en vue, capable de mobiliser des foules dans la capitale malgré la répression systématique des manifestations. En octobre 2022, après une contestation sanglante contre la prolongation de la transition militaire, il avait pris le chemin de l’exil avant de revenir fin 2023 dans le cadre d’un « accord de réconciliation » avec la junte.

Tchad : l’opposant Succès Masra arrêté à son domicile par des forces de sécurité

Originaire du sud du pays et membre de l’ethnie ngambayé, Succès Masra bénéficie d’un fort soutien dans cette région à majorité chrétienne et animiste, qui se considère souvent marginalisée par un pouvoir central dominé par des élites musulmanes du Nord.

Ce verdict intervient dans un contexte politique tendu entre le pouvoir et l’opposition au Tchad, où l’espace démocratique demeure étroit et les libertés publiques fragiles. Pour nombre d’observateurs, le procès de Succès Masra dépasse la seule question judiciaire et s’inscrit dans la lutte pour le contrôle du pouvoir à N’Djamena.

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