Souveraineté sous contrat
À la veille d’élections majeures en Centrafrique dont la présidentielle, la question sécuritaire domine le débat politique. Dans un pays longtemps morcelé par les groupes armés, le retour relatif à l’ordre constitue aujourd’hui l’argument central du pouvoir en place. Cette stabilisation porte un nom : Wagner, le groupe paramilitaire russe devenu, au fil des années, un partenaire clé du gouvernement de Bangui.
Sur le terrain, les autorités mettent en avant des résultats qu’elles jugent tangibles. Les grandes villes sont mieux contrôlées, les axes routiers plus praticables et l’État a étendu son autorité sur une large partie du territoire. Selon plusieurs analystes, près de 90% du pays seraient désormais sous contrôle gouvernemental, contre une situation largement inverse il y a encore quelques années.
Dans un contexte régional marqué par des crises persistantes, la Centrafrique est souvent citée comme le principal succès africain de Wagner, là où ses déploiements au Mozambique, en Libye ou au Mali ont produit des résultats plus contrastés.
Cette amélioration relative explique la position favorable du président Faustin-Archange Touadéra, donné favori du scrutin, ainsi que le recours aux paramilitaires russes pour sécuriser le processus électoral. Pour une population éprouvée par des décennies de violences, la promesse de ne plus vivre sous la menace permanente des groupes armés demeure un argument puissant.
Mais cette lecture ne fait pas l’unanimité. Des organisations de défense des droits humains et des acteurs de l’opposition accusent Wagner de graves exactions contre des civils. Ces accusations, rejetées par les intéressés, soulignent néanmoins une réalité dérangeante : la stabilité actuelle repose sur une force armée privée étrangère, largement en dehors des mécanismes classiques de contrôle démocratique.
Au cœur de cette alliance se trouve un modèle économique singulier. En échange de son soutien militaire, Wagner a obtenu des concessions dans l’exploitation de ressources stratégiques, notamment l’or, les diamants et le bois. Ce système permet à un État fragile de limiter ses dépenses immédiates, mais pose une question centrale pour de nombreux pays africains : celle d’une souveraineté partiellement négociée, adossée à la mise en valeur de richesses nationales par des acteurs extérieurs.
La mort d’Evguéni Prigojine et la volonté de Moscou de promouvoir Africa Corps, une structure plus directement liée au ministère russe de la Défense, ajoutent une nouvelle incertitude. Officiellement, Bangui évoque de simples discussions. En réalité, les autorités redoutent de perdre un partenaire jugé efficace et bien implanté, au profit d’un dispositif perçu comme moins offensif et potentiellement plus coûteux.
Au-delà du cas centrafricain, cette situation résonne sur l’ensemble du continent. Face aux limites des armées nationales et à la lassitude envers certains partenaires traditionnels, le recours à des acteurs sécuritaires alternatifs apparaît comme une solution pragmatique. Mais il crée aussi de nouvelles dépendances. Reste à savoir si cette stabilité sous protection étrangère pourra, à terme, se transformer en une sécurité véritablement souveraine.