Migrants en danger : Amnesty alerte sur les abus en Tunisie

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Migrants en danger : Amnesty alerte sur les abus en TunisieDes migrants subsahariens à Sfax © AFP
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Amnesty International met en garde contre une dérive inquiétante de la Tunisie, où la politique migratoire se transforme en machine répressive, nourrie par des discours racistes et tolérée par une Europe soucieuse avant tout de freiner les départs vers ses côtes.

Amnesty International alerte sur une dérive préoccupante de la politique migratoire en Tunisie, qu’elle juge de plus en plus répressive et discriminatoire, tout en accusant les autorités tunisiennes et leurs partenaires européens de compromettre les droits et la dignité des réfugiés et des migrants.

Tunisie : des pratiques sécuritaires racistes et des violations généralisées

Amnesty International tire la sonnette d’alarme. Dans un rapport publié le 6 novembre et intitulé « Personne ne vous entend quand vous criez », l’organisation dénonce la dérive inquiétante de la politique migratoire tunisienne. Depuis trois ans, Tunis aurait démantelé progressivement les protections accordées aux réfugiés, demandeurs d’asile et migrants, en particulier les personnes noires, au profit d’une logique sécuritaire marquée par des pratiques discriminatoires et des violations systématiques des droits humains.

Selon l’ONG, cette évolution s’inscrit dans un climat alimenté par des discours politiques ouvertement racistes. Des responsables tunisiens, y compris le président Kaïs Saïed, ont publiquement tenu des propos hostiles aux migrants subsahariens, favorisant la xénophobie et justifiant des politiques d’expulsion massives. Les témoignages recueillis par Amnesty décrivent un système conçu pour exclure et punir, où arrestations arbitraires, détentions illégales et violences se sont banalisées.

Lire aussi : En Tunisie, la chasse aux migrants sub-sahariens d’un Président dans l’impasse 

Le rapport évoque notamment des arrestations ciblées selon des critères raciaux, des expulsions collectives de dizaines de milliers de migrants vers les frontières algérienne et libyenne, ainsi que des cas de torture, de viols et d’autres formes de mauvais traitements. En juin 2024, les autorités tunisiennes ont même ordonné au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) de cesser de traiter les demandes d’asile, supprimant la seule voie légale pour obtenir une protection internationale dans le pays.

« Les autorités tunisiennes ont présidé à d’horribles violations des droits humains, attisant la xénophobie tout en s’attaquant encore et encore à la protection des personnes réfugiées », a dénoncé Heba Morayef, directrice régionale d’Amnesty pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Elle appelle à la fin immédiate de « l’incitation au racisme et des expulsions collectives » qui mettent des vies en danger.

Des migrants abandonnés à leur sort dans le désert

Entre février 2023 et juin 2025, Amnesty International a mené des recherches de terrain à Tunis, Sfax et Zarzis, interrogeant 120 réfugiés et migrants originaires de vingt pays africains. Les récits recueillis sont glaçants. Au moins 60 personnes, dont des enfants et des demandeurs d’asile, ont été arrêtées arbitrairement. Des témoins évoquent des rafles raciales et des violences policières délibérées.

Les migrants expulsés sont souvent conduits de force vers des zones désertiques proches des frontières algérienne et libyenne, abandonnés sans eau ni nourriture, après avoir été dépouillés de leurs téléphones et papiers d’identité. Amnesty estime que plus de 11.500 personnes ont été expulsées de cette manière entre juin 2023 et mai 2025.

Des cas de torture et de violences sexuelles ont également été documentés. « Karine », une Camerounaise, raconte avoir été violée à deux reprises par des agents de la Garde nationale, d’abord après une interception en mer, puis à la frontière algérienne. D’autres témoignages relatent des passages à tabac collectifs et des humiliations forcées.

Les forces de sécurité tunisiennes sont aussi accusées d’avoir adopté des méthodes brutales lors des interceptions maritimes, avec des éperonnages de bateaux de fortune, des coups portés aux passagers et l’usage de gaz lacrymogène. Une Camerounaise interceptée au large de Sfax confie : « Ils ont percé notre bateau, on a vu des femmes et des bébés se noyer ».

Ces opérations sont menées sans respect du principe de non-refoulement, pourtant inscrit dans le droit international. Amnesty déplore que la Tunisie, loin d’assurer la protection des migrants, les expose à de nouveaux risques, notamment en les renvoyant vers la Libye, où ils subissent détentions arbitraires et violences commises par des milices. En 2023, au moins 28 migrants ont été retrouvés morts à la frontière tuniso-libyenne, tandis qu’une centaine d’autres ont disparu.

Parallèlement, les autorités tunisiennes ont renforcé la répression contre les ONG locales qui apportaient une aide humanitaire. Six associations ont été visées par des enquêtes ou des interdictions, et huit défenseurs des droits humains ont été arrêtés. Cette politique d’intimidation a aggravé la crise humanitaire, privant des milliers de migrants de toute assistance.

Lire aussi : Les migrants et le rêve (funeste) européen

L’Union européenne accusée de complicité silencieuse

Amnesty International ne limite pas ses critiques à la Tunisie. L’organisation met également en cause la responsabilité de l’Union européenne (UE), qui continue de coopérer étroitement avec Tunis dans la gestion des flux migratoires vers l’Europe. En juillet 2023, un protocole d’accord a été signé entre Bruxelles et la Tunisie, sans garanties solides en matière de respect des droits humains.

Ce partenariat, soutenu notamment par l’Italie et la Commission européenne, prévoit un financement pour la formation et l’équipement des gardes-côtes tunisiens afin de réduire les traversées vers l’Europe. Mais pour Amnesty, cette stratégie revient à « externaliser » le contrôle migratoire au prix de vies humaines et d’atteintes graves à la dignité des personnes.

« L’UE doit suspendre de toute urgence toute aide en matière de contrôle migratoire et cesser de financer les entités responsables de violations », exhorte Heba Morayef. L’ONG reproche à Bruxelles de privilégier la baisse du nombre d’arrivées en Méditerranée plutôt que la protection des droits fondamentaux.

Une enquête de la Médiatrice européenne en 2024 avait déjà pointé l’absence de mécanismes de contrôle et de clauses suspensives dans les accords avec Tunis. Pourtant, malgré les rapports accablants, la coopération n’a pas été remise en question. Les responsables européens continuent d’affirmer que la politique menée a permis une « réduction significative des traversées irrégulières », sans évoquer les violations documentées.

Pour Amnesty, ce silence équivaut à une complicité. En continuant de soutenir financièrement un système qui viole les droits des réfugiés et des migrants, l’Union européenne risque de « se rendre co-responsable » des abus. L’organisation appelle à un changement profond de paradigme : placer la protection humaine au cœur des politiques migratoires, plutôt que leur externalisation vers des pays où les garanties fondamentales n’existent plus.

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