Gestion de l’eau en Afrique : entre diplomatie, gouvernance et urgence démographique
L’eau, ressource vitale et de plus en plus fragile, est au cœur des transformations politiques, économiques et sécuritaires du continent africain. Lors d’un échange dense consacré à ce sujet, deux voix majeures se sont exprimées : Ibrahim Mayaki, envoyé spécial de l’Union africaine pour les systèmes alimentaires, et Mamadou Tangara, ancien ministre des Affaires étrangères de Gambie.
Leur diagnostic converge : sans gouvernance efficace, sans coopération transfrontalière et sans recours accru à la science, ni la sécurité hydrique ni la sécurité alimentaire ne pourront être assurées.
Les bassins transfrontaliers, nœuds de tension et espace de coopération
Selon Ibrahim Mayaki, la gouvernance de l’eau en Afrique est intrinsèquement complexe : « 80% de l’eau de surface et 40% des eaux souterraines sont situées dans des bassins transfrontaliers ». Ces zones exigent des institutions régionales solides, mais celles-ci restent inégalement performantes.
Mayaki identifie trois obstacles majeurs : la prééminence des intérêts nationaux dans les négociations, la difficulté à évaluer précisément les volumes d’eau, et l’insuffisance des mécanismes techniques permettant une exploitation durable.
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Il avertit également contre les usages hostiles de l’eau : « Oui, effectivement, il y a des gens qui utilisent l’eau comme une arme », rappelant que la diplomatie hydrique demeure fragile mais indispensable.
Mamadou Tangara propose une perspective plus optimiste en s’appuyant sur des exemples concrets de coopération réussie : l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) et l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie (OVMG). « Est-ce que ça a marché ? Oui, ça a marché », affirme-t-il, soulignant que ces structures fonctionnent précisément parce que les États membres assument collectivement la responsabilité des infrastructures et des risques.
Tangara insiste sur le rôle déterminant de la diplomatie préventive, rappelant qu’un atelier du Conseil de sécurité a, pour la première fois, abordé explicitement le lien entre sécurité de l’eau et stabilité régionale.
Pression démographique et urbanisation : un paradigme à revoir
Le continent africain est passé de 600 millions à 1,5 milliard d’habitants en deux décennies, observe Mayaki. Cette croissance accélérée, combinée à l’urbanisation, impose de moderniser les approches : « Il nous faut maintenant accélérer, grâce à la gouvernance et à la science ». La science, insiste-t-il, est « la condition sine qua non » pour améliorer la productivité hydrique, soutenir les agriculteurs et permettre l’adaptation au changement climatique.
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Tangara rappelle que la raréfaction des ressources halieutiques a transformé les modes de subsistance : « Les anciens pêcheurs préfèrent prendre leur bateau pour transporter des migrants », un phénomène nourri à la fois par l’effondrement des stocks de poissons et par l’économie migratoire. La contraction du lac Tchad, ajoute-t-il, a contribué à l’émergence de groupes tels que Boko Haram, illustrant l’imbrication entre stress hydrique et instabilité.
Pour Mayaki, des réussites existent et doivent être mises à l’échelle, à l’image des performances de la Gambie, qui a « dépassé les objectifs de plus de 170% » en matière d’accès à l’eau. Mais il prévient contre la fragmentation continentale, principal obstacle au développement.
Entre diplomatie hydrique, pression climatique, besoins alimentaires croissants et risques sécuritaires, l’Afrique se trouve face à une équation complexe. Les témoignages d’Ibrahim Mayaki et de Mamadou Tangara convergent vers une même conviction : seule une approche intégrée, scientifique, régionale et profondément politique, permettra d’assurer la sécurité de l’eau et, au-delà, la stabilité du continent.