France-Algérie : un réchauffement sous pression

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France-Algérie : un réchauffement sous pressionLe président français Emmanuel Macron et son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune © AP

Après des mois de tensions, un réchauffement s’opère entre Paris et Alger. Mais selon plusieurs experts, ce rapprochement est avant tout tactique et dicté par les pressions internes et externes pesant sur l’Algérie. Entre isolement diplomatique, enjeux économiques et rapports de force, le voisin de l’Est semble contraint d’accepter la fermeté de la France sur des dossiers clés, comme le Sahara.

L’entretien téléphonique entre Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune, le 31 mars dernier, marque une évolution dans les relations entre la France et l’Algérie après plusieurs mois de tensions, particulièrement sur la question des obligations de quitter le territoire français (OQTF). Ce retour au dialogue, qui survient après des mois de désaccords, notamment autour des tensions migratoires et de la situation de l’écrivain Boualem Sansal, ouvre la voie à un apaisement diplomatique.

La réinitialisation du dialogue diplomatique

Depuis le début de l’année, la France a engagé une série de démarches diplomatiques pour apaiser les relations avec Alger, marquées par des différends sur des sujets aussi variés que la question migratoire, la mémoire coloniale et les tensions liées au Sahara. La France a envoyé plusieurs émissaires à Alger pour renouer le dialogue, et ce n’est qu’après ces visites que l’entretien du 31 mars entre les deux présidents a été possible.

D’ailleurs, le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, doit se rendre à Alger le 6 avril pour poursuivre cette dynamique de réconciliation. Le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, devrait, lui aussi, se rendre en Algérie pour explorer des pistes de collaboration plus approfondies. Ces visites s’inscrivent dans un programme plus large visant à normaliser les relations entre les deux pays, avec des projets de coopération renforcée dans plusieurs domaines, tels que la migration et la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest.

France-Algérie : la tension atteint un nouveau sommet

La question migratoire et les enjeux sécuritaires

L’un des principaux enjeux de ce rapprochement concerne la coopération migratoire. En effet, Paris souhaite un retour des ressortissants algériens sous OQTF, un sujet sur lequel l’Algérie s’était montrée récalcitrante. Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, avait auparavant adopté une position ferme, incitant à des mesures plus drastiques. Mais le rapprochement entre Macron et Tebboune a mis fin à cette approche de confrontation, optant pour une négociation plus souterraine.

Parallèlement, la relance de la coopération sécuritaire, notamment sur la gestion des menaces terroristes en Afrique de l’Ouest, a été un autre point de consensus. Le renforcement de ces échanges permettra aux deux nations de mieux coordonner leurs efforts face à des défis communs.

Si la question migratoire a été un sujet délicat, le dossier Boualem Sansal reste une autre pierre angulaire de ce rapprochement. La France a exprimé son désir de voir l’écrivain, emprisonné en Algérie depuis novembre 2024, bénéficier d’une mesure de clémence en raison de son âge avancé et de son état de santé. Pour Macron, cette question demeure une priorité, et une libération éventuelle de l’écrivain pourrait constituer un geste symbolique fort pour sceller un apaisement durable.

La question du Sahara, par contre, semble désormais reléguée au second plan dans les relations bilatérales. Bien qu’Alger ait longtemps insisté sur son soutien au Polisario, cette position semble désormais moins clivante, une évolution que certains analystes considèrent comme un recul stratégique pour Alger.

Un rapport de force avec Alger

Selon Hafid Boutaleb, expert en relations internationales, ce rapprochement ne s’est pas fait au détriment des intérêts français vis-à-vis du Maroc, comme l’espérait Alger. «Alger a pris du recul par rapport à ses objectifs de faire revenir la France sur ses engagements concernant le Sahara. Ce réchauffement intervient après plusieurs actions fermes de la part de Paris envers Alger, notamment l’obligation d’octroyer des visas à plus de 4.000 dirigeants algériens, y compris ceux nécessitant des soins médicaux particuliers en France», explique notre interlocuteur.

Ce nouveau rebondissement intervient, rappelle-t-il, après la crise la plus grave entre les deux pays depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, comme le souligne Benjamin Stora, historien franco-algérien. «Cette crise est née de la reconnaissance par la France de la marocanité du Sahara, une position qui a provoqué une vive réaction d’Alger. Bien que l’Algérie se soit montrée neutre sur ce dossier, elle a exprimé sa colère à plusieurs reprises contre les capitales européennes, dont l’Allemagne, l’Espagne et la France, qui ont toutes soutenu l’intégrité territoriale du Maroc», ajoute Boutaleb.

Le ton est particulièrement monté ces dernières semaines, explique Boutaleb, lorsque l’Algérie a officiellement condamné les déplacements d’officiels français au Sahara marocain, comme ceux de Gérard Larcher et Rachida Dati. En réponse, le Conseil de la Nation algérien a suspendu ses relations avec le Sénat français.

Selon Boutaleb, cette désescalade rapide a été possible grâce à la déclaration du président algérien, qui a exprimé sa pleine confiance en Emmanuel Macron. Ce retournement rapide de la situation reflète l’efficacité de la diplomatie dans la gestion de cette crise.

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Une manœuvre tactique

De son côté, Cherkaoui Roudani, expert en géopolitique, estime que ce rapprochement est avant tout tactique. Il illustre, dit-il, la difficulté pour Alger d’imposer sa vision face à une France qui reste ferme sur ses positions stratégiques.

Pour Roudani, la crise entre la France et l’Algérie n’est pas un simple incident diplomatique, mais une véritable crise structurelle dans les relations entre les deux pays. Selon lui, cette situation est marquée par un isolement croissant de l’Algérie sur la scène internationale. Dans un contexte où le pays cherche à s’affirmer tout en apaisant les tensions internes, la pression sur le régime algérien est de plus en plus forte. « L’Algérie tente d’apporter une réponse à ses détracteurs internes qui critiquent la politique étrangère et l’incapacité à maintenir un équilibre avec ses voisins et partenaires européens », explique-t-il.

Pour notre interlocuteur, l’un des éléments cruciaux de cette crise réside dans la réalité économique et stratégique de l’Algérie. Selon Roudani, de nombreux hommes politiques et hommes d’affaires algériens ont des intérêts financiers en France. « Ces acteurs influents, avec des investissements et des biens en France, exercent une pression sur le gouvernement algérien pour apaiser les tensions avec Paris. Craignant des répercussions sur leurs avoirs et des actions françaises qui pourraient nuire à leurs intérêts, ces figures du pouvoir algérien plaident pour un rapprochement tactique avec la France », ajoute-t-il.  Pour eux, les relations diplomatiques sont non seulement une question de politique extérieure, mais également un facteur clé de stabilité économique interne.

Dans cette dynamique, Roudani souligne que le rapprochement observé entre les deux pays est avant tout tactique. « L’Algérie cherche à redéfinir sa position en ouvrant un nouveau dialogue avec la France. Bien qu’aucune concession majeure ne semble avoir été faite, l’acceptation de la position française sur des dossiers sensibles, comme la question du Sahara, démontre une volonté d’apaiser la situation », poursuit-il. En gros, l’Algérie a fini par reconnaître que la décision française était un choix souverain et qu’elle ne pouvait pas l’empêcher, se limitant à des déclarations de principe sans réelle marge de manœuvre.

 

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