2025 : l’Afrique entre résilience macroéconomique, fractures sociales et recomposition politique

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Illustration A4 du dossier retro 2025 - AfriqueIllustration A4 du dossier retro 2025 - Afrique © Lebrief
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L’année 2025 s’est imposée comme un moment charnière pour l’Afrique subsaharienne. À la croisée de cycles électoraux décisifs, de crises sécuritaires persistantes et de performances économiques contrastées, le continent a mis en lumière des dynamiques étroitement imbriquées entre politique, social et économie. Derrière une apparente stabilité macroéconomique, les tensions liées à la gouvernance, à la légitimité du pouvoir et aux défaillances des services publics révèlent des fragilités structurelles redessinant les équilibres internes et régionaux.

Le paysage politique de 2025 a été dominé par une succession d’élections à forte portée symbolique. Au Gabon, la présidentielle d’avril a marqué la fin officielle de la transition ouverte par le coup d’État de 2023. La victoire écrasante du général Brice Clotaire Oligui Nguema, avec près de 95% des suffrages, a permis de conférer une légitimité civile à un pouvoir issu de l’armée.

Toutefois, l’ampleur du score interroge la réalité de la compétition démocratique et illustre la persistance de mécanismes de consolidation verticale du pouvoir, caractéristiques des régimes post-coup.

En Côte d’Ivoire, la réélection d’Alassane Ouattara pour un quatrième mandat s’est inscrite dans une logique de stabilité assumée. Avec près de 90% des voix mais une participation limitée à environ 50%, le scrutin a traduit un choix stratégique : privilégier la continuité politique et économique face à un environnement régional dégradé, marqué par la menace terroriste et l’influence croissante des régimes militaires sahéliens. La stabilité est ici perçue comme un rempart, même au prix d’une mobilisation électorale affaiblie.

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À l’inverse, le Cameroun a illustré le coût politique d’une légitimité contestée. La réélection de Paul Biya pour un huitième mandat, obtenue dans un contexte d’exclusions de candidats et de fortes tensions, a déclenché des manifestations massives. La réponse du régime, faite de répression meurtrière et d’arrestations de masse, a révélé une crise profonde de légitimité. Parallèlement, le pouvoir a cherché à afficher la continuité de l’État par des nominations administratives, stratégie visant à démontrer que l’appareil institutionnel demeure opérationnel malgré la contestation.

Gouvernance et recompositions institutionnelles

Au-delà des scrutins, 2025 a été marquée par des ajustements gouvernementaux significatifs. Au Niger, un important remaniement a mis en évidence les priorités d’un régime militaire confronté à une insécurité chronique et à une crise humanitaire persistante. La relance économique y reste subordonnée à la consolidation sécuritaire, illustrant la difficulté de dissocier gouvernance et lutte contre le terrorisme dans le Sahel.

Coup d'État au Mali
Les populations maliennes en communion avec les militaires qui ont pris le pouvoir © DR

Au Gabon, les remaniements post-électoraux ont introduit une dimension sociale et symbolique nouvelle, avec une attention particulière portée à la représentation des femmes et des jeunes. Cette orientation, bien que saluée sur le plan de l’image internationale, s’apparente davantage à une stratégie de légitimation qu’à une redistribution effective du pouvoir, toujours concentré autour de la junte.

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À l’échelle continentale, les changements de leadership au sein d’institutions clés, notamment Union africaine, Banque africaine de développement, Afreximbank, ont constitué un enjeu stratégique majeur. Ces transitions sont appelées à influencer la capacité du continent à financer son intégration économique et à répondre de manière coordonnée aux défis sécuritaires.

Sécurité : des conflits économiquement enracinés

Sur le plan sécuritaire, l’année 2025 a confirmé la persistance de conflits structurels, notamment dans la région des Grands Lacs. À l’est de la République Démocratique du Congo, la violence demeure alimentée par l’exploitation illégale des ressources minières, en particulier de l’or. Ce commerce transfrontalier finance directement l’achat d’armes, créant un cercle vicieux où la guerre devient un modèle économique auto-entretenu.

Dans ce contexte, les présidents congolais et rwandais, Félix Tshisekedi et Paul Kagame, se sont préparés à signer un accord de paix à Washington sous l’égide de l’administration Trump, visant à mettre fin au conflit impliquant le M23, accusé par Kinshasa d’être soutenu par Kigali. Bien que l’accord prévoie le désarmement du groupe FDLR et le retrait des troupes rwandaises, les combats persistent et le cessez-le-feu n’est pas respecté, illustrant la difficulté de stabiliser une région où les intérêts économiques et géopolitiques entravent durablement la paix. Cette réalité neutralise en grande partie les initiatives politiques de stabilisation et fait peser un risque régional durable.

Conflit RDC
Des enfants déplacés par le conflit au Congo jouent sur une pièce d'artillerie utilisée autrefois par les rebelles à Kibumba © Hugh Kinsella Cunningham

À l’inverse, le processus de paix au Tigré, en Éthiopie, a montré des avancées tangibles. La cessation des hostilités a permis la reprise de l’aide humanitaire et l’amorce du désarmement. Néanmoins, l’exclusion d’acteurs clés du processus fragilise cet équilibre et maintient des tensions latentes susceptibles de raviver le conflit.

La crise du contrat social et la montée de la jeunesse

L’un des faits les plus marquants de 2025 a été l’émergence de contestations sociales centrées non plus sur les élections, mais sur la défaillance des services publics. Madagascar en a offert l’exemple le plus spectaculaire. Les manifestations portées par la jeunesse, organisées sous la bannière de la Gen Z, ont été déclenchées par des coupures chroniques d’eau et d’électricité. En quelques semaines, cette mobilisation a conduit à la chute du président en place et à un changement de régime, sans l’appui structuré des oppositions traditionnelles.

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Ce cas illustre une mutation profonde des dynamiques politiques africaines : la mauvaise gestion des infrastructures essentielles devient un facteur de déstabilisation plus puissant que les crises électorales classiques. À l’opposé, le Cameroun a incarné une réponse autoritaire traditionnelle, où la répression reste l’outil privilégié face à la contestation, au prix d’une fracture accrue entre l’État et la société.

GEN Z madagascar
Les manifestations de la Gen Z secouent le continent, et notamment le Maghreb, depuis la fin du mois de septembre © AFP

Une résilience économique fragile

Sur le plan économique, l’Afrique subsaharienne a affiché en 2025 une croissance estimée à 4,1%, légèrement supérieure aux projections initiales. Cette performance témoigne d’une résilience réelle dans un contexte mondial marqué par des tensions commerciales et un durcissement des conditions financières. Toutefois, cette croissance agrégée masque des vulnérabilités profondes.

Le poids du service de la dette publique s’est imposé comme le principal frein structurel à la transformation de la croissance en progrès sociaux. Dans de nombreux pays, la stagnation du PIB par habitant persiste, alimentant frustrations et tensions sociales. La réduction de l’aide extérieure et l’augmentation des droits de douane ont accentué cette pression, en particulier pour les États fragiles et à faible revenu.

Intégration régionale et infrastructures : des leviers stratégiques

Face à ces défis, l’accélération de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) s’est affirmée comme un axe stratégique central. En réponse aux incertitudes du commerce mondial, les gouvernements ont misé sur le développement de chaînes de valeur régionales, notamment dans l’agro-industrie, l’automobile, les produits pharmaceutiques et les énergies renouvelables. Des initiatives complémentaires, telles que l’harmonisation des paiements et le développement du transport aérien, visent à fluidifier les échanges intra-africains.

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Parallèlement, l’investissement dans les infrastructures, corridors de transport, énergie, logistique, a dominé l’agenda économique. L’appel à la mobilisation des capitaux continentaux traduit une volonté croissante d’autosuffisance financière, condition indispensable à la réussite de l’intégration régionale et à la réduction de la dépendance extérieure.

L’année 2025 révèle ainsi une Afrique subsaharienne à la fois résiliente et vulnérable. La stabilité politique ne se joue plus uniquement dans les urnes, mais dans la capacité des États à fournir des services essentiels et à offrir des perspectives économiques inclusives. Tant que les modèles économiques des conflits et le fardeau de la dette ne seront pas traités en profondeur, la croissance restera précaire. À l’horizon 2026, le défi central sera de transformer cette résilience macroéconomique en stabilité sociale durable, condition sine qua non d’un développement réellement inclusif.

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