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Ramadan : la « tramdina », de mal en pis

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Au bout de 17 jours du mois sacré de Ramadan, la « tramdina » prend une ampleur inquiétante. Dans un contexte de crise socio-économique caractérisé par une hausse générale des prix, ce phénomène ramadanien fait chaque jour des ravages dans les quatre coins du Royaume. Il est aussi révélateur d’un profond mal-être d’une partie de la population marocaine.

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« Ana mramden ». Une expression que certains répètent souvent pendant ce mois sacré pour exprimer leur irritabilité à cause d’un manque de cigarette, de café, etc. La tramdina, personne n’y échappe. Tout contact avec autrui peut être fatal pendant cette période de jeûne. Ces gens qui supportent mal le carême en journée, regrettent souvent leurs actes dès la rupture du jeûne.

Souvent associé à des comportements violents, ce phénomène peut se manifester de différentes manières telles que la colère, la nervosité, voire l’agressivité verbale ou physique. Le manque de sommeil et les changements dans la glycémie pendant le jeûne sont d’autres éléments qui peuvent influencer le comportement du jeûne. Mais d’autres facteurs externes, comme la hausse du coût de la vie, peuvent également contribuer à augmenter le stress qui font du mois béni un cadre qui justifie et amplifie les comportements agressifs.

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Halte à la violence !

Mercredi 29 mars, les faubourgs de la région de Fqih Ben Saleh ont été le théâtre d’un meurtre. Un conflit entre deux travailleurs d’un entrepôt de bouteilles de gaz s’est transformé en violence physique. Le meurtrier présumé a utilisé des pierres pour frapper la victime à la tête, la faisant tomber et perdre beaucoup de sang. Les éléments de la gendarmerie royale sont intervenus sur les lieux dès qu’ils ont été informés de la situation. Ils ont découvert un individu inconscient à même le sol, qu’ils ont immédiatement transporté au centre hospitalier régional de Béni Mellal, où il a finalement succombé à ses blessures le 1er avril.

Des drames comme celui-ci, le Maroc en enregistre des dizaines pendant le mois de Ramadan. Cette année, le premier jour de ce mois sacré a vu des scènes de violence indescriptibles dans les différentes régions du  royaume. Les comportements agressifs liés à la tramdina ont été amplifiés par les réseaux sociaux qui ont en quelque sorte normalisé les actes violents par le partage des images et des scènes de violence. Or, la maîtrise de soi est très importante pour atteindre l’objectif ultime du jeûne qui est de s’approcher de Dieu, malgré toutes les difficultés.

L’année dernière, au moins cinq personnes avaient perdu la vie lors du premier jour du mois sacré dans différentes villes du Royaume. Le douar El Bahara, près de la station balnéaire de Sidi Bouzid, avait été le théâtre d’un double meurtre. Les victimes étaient une épouse et son amie, assassinées par le mari qui avait ensuite tenté de se suicider en se jetant du deuxième étage. Un cri provenant d’une jeune fille avait alerté les voisins durant le ftour, les amenant à se précipiter vers la scène du crime. À Marrakech, un différend concernant un morceau de haschich avait mené à une bagarre entre deux guides touristiques non autorisés, l’un ayant poignardé mortellement l’autre dans la médina de la ville ocre. À Safi, une femme avait été assassinée par son mari, après une dispute conjugale, tandis qu’à Casablanca, une femme divorcée avait été victime d’une tramdina de la part d’une personne à qui elle avait prêté de l’argent et qui était dans l’incapacité de rembourser sa dette. Le premier jour du Ramadan, qui était censé être un jour de fête, avait été entaché par ces actes de violence.

En septembre 2009, un conducteur avait tiré avec son pistolet sur un policier de la circulation à Casa-Anfa peu avant le f’tour. L’agresseur, beau-frère de feu Hassan II, avait grillé un stop et le policier lui avait demandé les papiers du véhicule. Une dépêche de la MAP parlera d’un état de démence avancé alors que pour l’ensemble des Marocains c’était de l’arrogance couplée à la tramdina. Feu Hassan Yacoubi souffrait «depuis plusieurs années de la maladie de Korsakoff, qui entraîne une dégénérescence mentale grave», pouvait-on lire sur la dépêche de l’agence.

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Le policier Tariq Mouhib blessé par feu Hassan Yacoubi © DR

La tramdina, à mi-Ramadan

Bien que le mois de Ramadan en soit à son 17e jour, certains comportements répréhensibles continuent de ternir l’atmosphère de piété et de spiritualité qui caractérise ce mois sacré. Hier dans les rues de Casablanca, c’était le chaos avant le ftour. Accidents de voiture, altercations entre clients de surfaces commerciales, rixes entre jeunes… Un spectacle qui a effrayé un groupe de touristes étrangers, venus vivre l’expérience Ramadan en terre de lumière. Ils ont à la place découvert que les changements psychologiques notables qui se produisent, en particulier à l’approche de l’heure de rupture du jeûne, vont à l’encontre des nobles valeurs religieuses qui doivent conduire à la sérénité et à l’émulation pour accomplir de bonnes actions.

Pour le théologien Mustapha Benhamza, le Ramadan n’a rien à voir avec les comportements violents émanant de certaines personnes pour les raisons les plus futiles sous le prétexte de jeûner. «Un individu peut avoir faim en dehors de ce mois, mais ses comportements et ses réactions restent normaux. Pendant le Ramadan, il est supposé que l’individu réduise son excitation et diminue la pression sur lui-même», estime Benhamza. En ce qui concerne la validité du jeûne des ‘’mramdnines », le théologien précise que le jeûne est censé purifier l’âme et la réguler, il n’est donc pas permis pour lui de commettre tout ce qui pourrait gâcher son jeûne, que ce soit par action ou par la parole. Sinon, cela deviendrait simplement une forme de jeûne de traditions et d’habitudes résultant d’une méconnaissance des objectifs du jeûne. «Nous ne pouvons pas dire que le jeûne des mramdnines est nul et non avenu, sauf s’ils prononcent une parole de mécréance ou commettent un acte qui annule leur jeûne. Autrement, ces personnes se nuisent à elles-mêmes avant de nuire au Ramadan», conclut Benhamza.

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Explications scientifiques

Les habitudes notables telles que le manque de sommeil, une alimentation déséquilibrée et irrégulière, ainsi que l’arrêt de la consommation de certaines substances, affectent l’état psychologique du jeûneur. Ces comportements sont inacceptables et ne sont pas en accord avec l’esprit du jeûne en lui-même. Des études menées par le Centre hospitalier universitaire Ibn Rochd de Casablanca ont révélé des troubles chez plusieurs catégories de personnes. Les fumeurs doivent prêter une attention particulière au manque de nicotine, car le tabagisme est directement lié à ces comportements, avec l’apparition de symptômes d’irritabilité et de colère dès les premiers jours du sevrage. Il est recommandé de suivre un traitement progressif pour réduire les différentes formes de stress et de colère.

Aussi, l’impact de la perturbation des cycles de sommeil pendant le Ramadan ne doit pas être négligé. Autre source d’inconfort psychologique : la privation soudaine de caféine mais surtout de l’accès aux cafés, considérés comme des espaces de vie par une grande partie de la société marocaine. Cette privation peut déstabiliser certains individus. Le cumul d’un ensemble de privations/frustrations crée ce qu’on qualifie de « tramdina », une construction sociale purement marocaine. Les scientifiques précisent que les hormones qui contrôlent la faim sont aussi celles qui contrôlent la colère et la violence. Avec un cerveau en sous-régime et un estomac à vide, l’agressivité sort au grand jour. D’ailleurs, pendant que l’on jeûne, la prise de décision devient irréfléchie. La personne prend plus de risques et s’emporte de manière disproportionnée.

Pour jeûner dans les meilleures conditions, il est conseillé de préserver les trois piliers essentiels pendant le Ramadan : l’alimentation, le sommeil et l’exercice physique. L’alimentation doit être équilibrée et variée, sans excès, et les glucides doivent être répartis entre le f’tour et le s’hour. Le sommeil doit être suffisant, régulier et de qualité, et l’exercice physique régulier est recommandé.

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Photo d’illustration © DR

Tramdina permanente ?

La pratique de comportements violents pendant le mois de Ramadan est un argument fallacieux. Certains chercheurs sociaux soulignent que la violence n’est pas liée à une période spécifique ou à un mois en particulier. Ils affirment que de tels comportements sont présents tout au long de l’année dans la société mais qu’ils passent inaperçus contrairement à ceux observés pendant le mois de jeûne. Selon leur analyse, la tramdina représente un paravent pratique à toute pratique inacceptable et contraire aux valeurs religieuses. Elle sert d’excuse aux personnes en colère et impulsives qui créent une atmosphère malsaine dans la rue ou à l’intérieur de leur foyer. C’est une manifestation de désordre dans les relations interpersonnelles, en particulier lorsque la patience et le sens de la civilité font défaut et que des comportements violents injustifiés prédominent. Le problème réside dans les représentations individuelles et la façon dont elles perçoivent cette question, car le comportement dépend de la structure cognitive ou conceptuelle que la personne possède sur un concept, un événement ou une chose spécifique. Ainsi, la perception de la tramdina dans l’esprit d’une personne est à l’origine de son comportement. Il est vrai qu’on ne verra jamais une personne sage et posée s’emporter pour des choses insignifiantes, jusqu’à agresser verbalement et physiquement un individu.

On avait l’habitude d’observer la tramdina pendant les tous premiers jours du mois sacré. Cette année, le fléau perdure et prend des proportions très inquiétantes. Quand un vendeur ambulant assène des coups de couteaux à un client pour une mésentente sur le prix, quand un chauffeur de taxi fonce avec son véhicule sur un triporteur qui l’a gêné dans un rond-point, quand un homme abat le chien de son voisin parce qu’il l’a dérangé pendant sa sieste d’avant-ftour… Ce sont là des exemples de graves incidents qui démontrent qu’au-delà de l’abstinence diurne et de la nécessité pour certaines personnes de donner des preuves de leur jeûne, les Marocains sont à fleur de peau et cherchent le moindre prétexte pour exprimer leur angoisse. A méditer…

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