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Le procès de « la fillette de Tiflet » : croyons encore en notre justice !

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Deux ans de prison ferme pour viol répété sur mineure. Voilà les peines prononcées à l’encontre des trois hommes de Tiflet inculpés dans l’affaire de viol d’une petite de 11 ans, devenue aujourd’hui maman. Une histoire tragique qui se termine avec un verdict encore plus choquant. Le procès en appel démarre ce jeudi à Rabat. Face à un jugement «laxiste», «trop clément», «injuste» mais surtout «incompréhensible», la société civile a encore l’espoir que justice sera rendue pour la fillette de Tiflet mais aussi pour toutes celles qui viendront après.

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Ce jeudi 13 avril 2023 s’ouvre le procès, attendu par tous, devant la chambre criminelle (deuxième degré) de Rabat. La première audience du jugement en appel a réuni un imposant groupe d’avocats, certains mandatés par des associations, tandis que d’autres volontaires, qui se sont mobilisés pour défendre la victime et réclamer justice pour elle.

Nombre d’entre eux ont souligné la nécessité pour la Cour d’appel de rectifier la situation et d’augmenter la peine des inculpés, de sorte qu’elle soit en adéquation avec la gravité des actes commis par ceux-ci. La défense de la victime demande aujourd’hui d’aggraver les peines prononcées contre les trois prévenus, pour atteindre 20 à 30 ans de prison ferme.

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Après un verdict jugé «laxiste», le ministère public, tout comme l’association INSAF (Institut national de solidarité avec les femmes en détresse), avait fait appel «afin de protéger les droits de la victime et veiller à la bonne application de la loi». La première session du jugement de l’affaire de « la fillette de Tiflet », tenue initialement le 6 avril et qui a profondément scandalisé l’opinion publique, a été reportée à la demande de l’avocat de la partie civile justifié, selon les magistrats, par la nécessité de convoquer un «témoin clé» dans l’affaire.

Me Chaoui, présidente de l’Association marocaine des droits des victimes et l’une des avocates de la plaignante, a expliqué que «Le dossier a été reporté aujourd’hui pour la convocation de la témoin, qui faisait la garde pendant qu’elle [la plaignante] était violée.» Cette témoin est la cousine d’un des accusés. Mineure, elle aussi, elle doit être accompagnée de ses parents pour être entendue.

En attendant de donner le verdict, le représentant du ministère public a demandé à la Cour de décréter le huis clos pour les prochaines audiences du procès.

Pour le durcissement des peines

La clémence du verdict prononcé le 20 mars à l’encontre des trois violeurs de la fillette de 11 ans dans un village près de Tiflet a indigné la société marocaine, suscitant des manifestations à l’appel de collectifs pour la défense des droits des femmes et une pétition sur les réseaux sociaux.

Alors que le droit pénal marocain punit les violeurs d’une peine allant de 10 à 20 ans de prison, si l’âge de la victime est inférieur à 15 ans, les trois hommes inculpés dans l’affaire de viol de la fillette de Tiflet ont, eux, écopé, le 20 mars, de deux ans de prison ferme, dont six mois de sursis pour deux d’entre eux. De quoi indigner la société civile !

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Contestant ce verdict jugé «laxiste» et «choquant», société civile et militants réclament depuis un durcissement du jugement prononcé dans cette affaire. Un appel que partagent les associations de défense des droits de l’Homme et les Marocains dans leur globalité. Il s’agit, en effet, de protéger les enfants de la violence dans toutes ses formes, particulièrement celle à caractère sexuel, notamment à travers la révision des textes législatifs, conformément aux conventions internationales ratifiées en la matière.

Il est temps de rendre justice à cette fillette et à son enfant. Ce type d’affaires ne doit en aucun cas être jugé avec laxisme
– Amina Khalid, secrétaire générale de l’association Insaf (Institution nationale de solidarité avec les femmes en détresse)

Pour sa part, l’association « Joussour Forum des femmes marocaines » a plaidé pour une mobilisation immédiate et dans l’urgence des autorités judiciaires en ouvrant une enquête impartiale qui garantit les droits de cette innocente fillette, tout en durcissant les peines et les répercussions juridiques nécessaires dans cette odieuse affaire criminelle. L’association a également appelé les autorités compétentes de garantir à la fillette victime un suivi médical et psychologique pour traiter les séquelles des violences sexuelles qu’elle a subies.

«Ce verdict est incompréhensible, injuste et choquant. Nous sommes ici pour porter la voix de cette enfant. Il faut que ça cesse!», avait déclaré à l’AFP Maria Tahir, lors de la manifestation, tenue le mercredi 5 avril devant le tribunal de Rabat, à l’appel du « Printemps de la Dignité ».

Plusieurs militants des droits civils et humains appellent également à ne pas réduire les peines prononcées pour de tels crimes, considérés comme une atteinte incontestable à la morale et aux valeurs partagées, mais surtout une violation flagrante des droits humains, des enfants et des femmes, et qui sont punis par le Code pénal, tel que stipulé dans les articles (286-488).

En ce sens, l’association « Défi pour l’égalité et la citoyenneté » a appelé à «un durcissement des sanctions pour les crimes sexuels, quelle que soit l’agression ou la violation, particulièrement ceux dont les victimes sont des enfants et des femmes».

Les conséquences du crime de viol dépassent la fillette victime pour s’étendre à la famille et à la société.
– Amina Bouayach, présidente du Conseil national des droits de l’homme (CNDH)

«Le cas de violence sexuelle contre la fillette de Tiflet nous a mis devant trois victimes dans cette affaire. D’abord la fillette victime qui a subi une injustice, étant donné que le jugement de première instance n’a pas protégé son intégrité physique, psychologique et sociale. Ensuite l’enfant né de la violence sexuelle, et enfin la société qui résiste à la normalisation de la violence et craint de réduire le caractère criminel de toutes les formes de violence. Celle-là même qui s’inquiète que les normes et les règles juridiques n’agissent plus en tant que moyen civilisé en mesure d’imposer l’équilibre et la justice au sein d’une société qui protège ses femmes, ses filles et ses enfants contre les violations graves», avait déclaré Amina Bouayach, présidente du Conseil national des droits de l’homme (CNDH), lors d’une réunion interactive organisée par le Conseil avec des organisations non gouvernementales et des chercheurs sur la violence sexuelle à l’égard des enfants.

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La présidente du Conseil avait, en outre, souligné que la révision des normes de protection sociale doit être fondée sur le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, afin de développer des systèmes de protection de l’enfance dans toutes les régions, lesquels constituent l’un des cinq objectifs de la stratégie intégrée de politique publique 2015-2025. Cela, y compris le renforcement du cadre juridique de protection de l’enfance et de son efficacité, l’unification des structures et des pratiques, le renforcement des normes sociales de protection de l’enfance et la mise en œuvre de systèmes d’information et de surveillance-évaluation.

L’affaire expliquée par l’avocat principal

À la veille du procès en appel, l’association INSAF a organisé une conférence de presse en présence de Mohamed Sebbar, avocat de la victime. Un point de presse destiné à sensibiliser sur l’importance de cette affaire qui préoccupe l’opinion publique nationale, révéler les derniers développements du dossier et «intensifier» le débat sur la protection des mineurs contre les violences sexuelles.

Lors de cette rencontre, l’Association a exhorté la justice à réparer, en appel, le dommage subi par cette fillette de 11 ans. «C’est un jugement plus proche de l’innocence que de la culpabilité», a estimé Me Mohammed Essebar, l’avocat principal de la victime, anciennement secrétaire général du Conseil national des droits de l’Homme et l’une des chevilles ouvrières de l’Instance équité et réconciliation.

«Ce dossier n’est pas ordinaire et doit être traité de manière extra-ordinaire», a affirmé Me Essebar, aux côtés de Soumaya Naamane Guessous, la sociologue qui a initialement mis la lumière sur l’affaire. «Je suis réconfortée par le fait que cette lettre n’ait pas laissé de l’indifférence. Nous sommes face à un tabou. Nous sommes face à un drame, une injustice, mais ce qui est intéressant c’est que cette injustice est en train d’être prise en main. Il y a une prise de conscience de la société civile, y compris des institutions», a-t-elle déclaré à nos confrères du 360. Pour elle, le cas d’une victime comme cette fillette devrait faire avancer les lois.

Des acteurs des droits de l’Homme ont exprimé, pour leur part, leur souhait de voir la justice réparer en appel le dommage subi par la victime, estimant que le jugement rendu en première instance a causé d’énormes préjudices à la victime, sa famille et la société. Ces derniers ont mis l’accent sur les effets psychiques et psychologiques de cet acte sur la victime, notant qu’il constitue une violation de son enfance et son innocence, et une entorse à sa relation à son corps et à la société.

«On ne demande pas d’exception particulière, on ne demande pas non plus de commettre une quelconque injustice, on souhaite simplement un accompagnement de la petite fille victime d’un crime abject. Nous aimerions que l’on puisse réexaminer l’affaire dans tous ses aspects et rendre une décision cohérente en fonction de la loi et du droit applicable au Maroc», a, pour sa part, plaidé Mohamed Oulkhouir, avocat et vice-président de l’association qui lutte contre l’exclusion des mères célibataires et l’abandon des enfants.

L’enfant, âgée aujourd’hui de 12 ans, a été victime il y a plus d’un an d’un viol collectif et à répétition dans son village près de Tiflet. Le dossier de la plainte, déposé le 28 décembre 2022 auprès de la cour d’appel de Rabat, a connu sa première audience le 13 janvier 2023. Deux mois plus tard, le verdict jugé «incompréhensible» et «injuste» par la société civile a été prononcé.

«Rendre justice à cette fillette et à son enfant»

En marge de la révision des peines, la société civile espère mener une autre bataille : celle de la reconnaissance de l’enfant par le père. Après des tests ADN, l’un des trois accusés s’est avéré être le père du petit garçon né, fruit du crime abject. Mais aujourd’hui dans la loi, rien ne l’oblige à le reconnaître comme étant son fils.

Pour Me Mohammed Essebar, l’affaire de la petite ouvrira donc forcément plusieurs débats et sera l’occasion d’accélérer le processus de révision du Code pénal. L’avocat espère que le législateur marocain s’intéressera à ce sujet en proposant des lois offrant la protection suffisante et nécessaire des mineures.

«Il est temps de rendre justice à cette fillette et à son enfant. Ce type d’affaires ne doit en aucun cas être jugé avec laxisme», estime Amina Khalid, secrétaire générale de l’Institution nationale de solidarité avec les femmes en détresse.

Dans la pétition lancée sur les réseaux sociaux demandant la révision des jugements prononcés dans cette affaire, les auteurs exigent «la justice pleine et entière pour ces deux enfants, la petite fille et son bébé, victimes d’une misogynie qui accable les mères, déresponsabilise les hommes de leur paternité, absout les violeurs et s’accommode des violences contre les enfants et les femmes, en général».

«Pour la protéger», la petite n’était pas présente à la conférence de presse. Son père, lui, très sollicité depuis la médiatisation du drame, ne peut plus sortir de chez lui. Mais devant la mobilisation autour de l’affaire de sa fille, il s’était dit rassuré quant à l’issue de ce procès en appel. «J’ai beaucoup d’espoir. Je crois en la justice de mon pays et je suis sûr que le jugement à venir sera juste.»

L’espoir aujourd’hui est bien que justice soit rendue pour la fillette de Tiflet mais pour toutes celles qui viendront après. Car malheureusement oui, il y en aura d’autres. Si l’affaire de « la fillette de Tiflet » a réussi à provoquer la mobilisation, d’autres passeront sous silence et dans l’indifférence, à cause d’un système juridique qui manque parfois de justesse ou encore de l’omerta sociale sur des sujets dont on ne doit pas prononcer le nom.

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