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Armement : reflet d’un monde à cran

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«Si vis pacem, para bellum». Les dépenses militaires mondiales ont franchi pour la première fois la barre des 2.000 milliards de dollars. Si les États-Unis, la Chine et la Russie restent les acteurs majeurs du marché d’armement, le Vieux continent, lui, affiche une ambition spectaculaire de réarmement accélérée par la guerre russo-ukrainienne. Selon le SIPRI, «c’est le reflet d’un monde à cran qui risque de voir à tout moment des crises et des conflits se régler par la voie des armes». L’Afrique quant à elle a vu ses importations d’armes baisser, malgré les différends qui perdurent.

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80 fois le PIB du Sénégal ou encore huit fois celui du Portugal, c’est le niveau record de dépenses militaires mondiales atteint en 2022. S’il est difficile à chiffrer, du fait de l’opacité de nombreux contrats, le commerce mondial d’armement a augmenté de 3,7 % pour atteindre un niveau record de 2.240 milliards de dollars, selon les nouvelles données du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI). C’est la plus forte augmentation annuelle depuis au moins 30 ans.

Si depuis huit ans, les dépenses militaires mondiales ne cessent de croître, «les tensions entre la Russie et la plupart des pays européens» ont encore renforcé cette tendance, indique le rapport. «Même si les transferts d’armes ont diminué à l’échelle mondiale, ceux vers l’Europe ont fortement augmenté en raison des tensions entre la Russie et la plupart des États européens», souligne Pieter D. Wezeman, chercheur principal au programme Transferts d’armes du SIPRI.

Tendance des transferts internationaux d'armes majeures, 1983-2022. © Base de données des dépenses militaires du SIPRI, Avril 2023

Tendance des transferts internationaux d’armes majeures, 1983-2022. © Base de données des dépenses militaires du SIPRI, Avril 2023

Les importations d’armement en Europe ont quasiment doublé en 2022, tirées par les livraisons massives vers l’Ukraine devenue troisième destination mondiale. Mais États-Unis, Chine et Russie sont les trois pays ayant le plus dépensé en 2022, représentant 56 % du total mondial.

Basé sur les données de l’année dernière, le nouveau rapport du SIPRI présente les tendances mondiales en matière d’exportations et d’importations d’armes, et met en lumière certaines questions liées aux transferts d’armes.

Fig1. Les dépenses militaires mondiales, par région, 1988–2022. © Base de données des dépenses militaires du SIPRI, Avril 2023

Fig1. Les dépenses militaires mondiales, par région, 1988–2022. © Base de données des dépenses militaires du SIPRI, Avril 2023

Aux armes, européens !

Sur les 2.240 milliards de dollars dépensés dans la course à l’armement, les achats européens ont connu leur plus forte augmentation annuelle (+13 %), constate le rapport. La hausse des dépenses, de loin la plus forte, est largement imputable aux dépenses russes et ukrainiennes.

«Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les États européens veulent importer plus d’armes, plus rapidement», précise Pieter D. Wezeman. La crainte d’une expansion du conflit a en effet poussé plusieurs États, notamment la Pologne et la Norvège, à renforcer leurs investissements.

Le conflit russo-ukrainien a eu un impact immédiat sur les dépenses militaires en Europe centrale et occidentale. Dans cette zone, c’est le Royaume-Uni qui affiche les dépenses militaires les plus élevées avec 68,5 milliards de dollars, dont environ 2,5 milliards (3,6 %) ont été consacrés à l’aide militaire financière à l’Ukraine.

La guerre accélère spectaculairement une tendance à la hausse sur le Vieux continent, conséquence du réarmement amorcé depuis plusieurs années après l’annexion de la Crimée par Moscou.

«Les dépenses militaires des États d’Europe centrale et occidentale s’élèvent à 345 milliards de dollars en 2022. En termes réels, les dépenses de ces États ont pour la première fois dépassé celles de 1989, à la fin de la guerre froide, et sont supérieures de 30 % à celles de 2013», explique le rapport.

Kiev, jusqu’ici un importateur négligeable d’armement, est devenue du jour au lendemain la troisième destination d’armement dans le monde, conséquence directe de l’aide occidentale pour repousser l’invasion russe. À lui seul, le pays a concentré 31% des importations d’armement en Europe et 8% des échanges mondiaux.

À 640 %, les dépenses militaires de l’Ukraine – 44 milliards de dollars en 2022 – ont accusé la plus forte augmentation sur une seule année des dépenses militaires d’un pays jamais enregistrée selon l’institut. «Il s’agit de la plus forte augmentation sur une seule année des dépenses militaires d’un pays jamais enregistrée dans la base de données du SIPRI».

Les États-Unis restent pour autant le premier pays acheteur d’armes et de systèmes d’armes. Le pays a ainsi dépensé 877 milliards de dollars en 2022, soit 39 % du total des dépenses militaires mondiales et trois fois plus que le montant investi par la Chine, deuxième pays le plus dépensier au monde.

Un montant qui s’explique notamment par l’aide militaire financière que Washington accorde à l’Ukraine, équivalent à 19,9 milliards de dollars en 2022. Il s’agit de l’aide militaire la plus importante accordée par un pays depuis la guerre froide.

En 2022, les dépenses de l’armée chinoise ont augmenté pour la 28ème année consécutive, pour atteindre 292 milliards de dollars.

Les dépenses militaires russes, troisièmes dans le classement SIPRI, se sont chiffrées en 2022 à près de 86,4 milliards de dollars et ont augmenté de près de 9,2%. Cela équivaut à 4,1% du produit intérieur brut (PIB) russe, contre 3,7% en 2021.

 

Les dépenses africaines en recul

Si l’année 2022 marque un record du total des dépenses militaires mondiales en 2022, celles-ci ont été ralenties par les effets de l’inflation qui, dans de nombreux pays, a atteint des niveaux inégalés depuis des décennies.

À la différence de l’Europe, tous les autres continents affichent un recul des importations sur cinq ans, avec une baisse marquée en Afrique (-40%), en Amérique du Nord et du Sud (-20%) et même en Asie (-7%) et au Moyen-Orient (-9%), premiers marchés mondiaux.

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Les importations d’armes entre 2018 et 2022 ont globalement diminué en Afrique, par rapport à la période 2013-2017, selon le SIPRI. L’institut basé à Stockholm explique cette tendance notamment par la baisse des importations d’armes des deux plus grands importateurs de la région, à savoir l’Algérie (-58%) et le Maroc (-20%).

Le départ de Barkhane et Takuba crée un vide. Nous serons obligés d’acheter des armes, d’avoir une plus grande professionnalisation mais c’est notre devoir aussi.

Alassane Ouattara, président ivoirien lors d’un mini-sommet sur le Mali réuni à l’initiative d’Emmanuel Macron en avril 2022

Les États d’Afrique subsaharienne ont également vu leurs importations d’armes chuter de 23%. L’Angola, le Nigeria et le Mali, des pays relativement riches ou confrontés à des conflits, étant les principaux destinataires. Ce dernier, théâtre de deux coups d’État successifs en 2020 et 2021, a vu ses importations d’armes exploser de 210% par rapport à la période précédente. Bamako, note Wezeman, est par ailleurs un exemple illustratif du marché africain de l’armement.

Bien que la tendance en matière d’importations d’armes soit actuellement à la baisse en Afrique, les experts s’accordent à dire que le marché africain va exploser durant les prochaines années. C’est d’ailleurs le discours d’Alassane Ouattara, réagissant au départ annoncé de l’armée française du Mali en février 2022 qui a déclaré : «Nous serons obligés d’augmenter nos forces de défense. Nous serons obligés d’accroître la protection de nos frontières. Nous serons obligés d’acheter des armes».

Exit Pékin, revoici la Russie

Des opportunités sont donc à saisir d’autant plus que deux acteurs majeurs dans la vente d’armes dans cette région devraient connaître un certain nombre de contraintes ou de difficultés. C’est le cas de la France, qui totalise 7,6% des ventes d’armes en Afrique mais qui pâtit de plus en plus de son image d’ancienne puissance colonisatrice et des erreurs de communication du président Macron.

C’est également le cas de la Russie, principal fournisseur de l’Afrique (40%) durant les cinq dernières années. Les exportations d’armes russes dans le monde devraient diminuer à partir de 2023 en raison principalement de la guerre en Ukraine, mais cela ne signifie pas pour autant que celles destinées à «l’Afrique vont tomber à zéro», note Wezeman.

«Il est probable que l’invasion de l’Ukraine limitera davantage les exportations d’armes de la Russie. En effet, la Russie accordera la priorité à l’approvisionnement de ses forces armées. De plus, la demande des autres États restera faible en raison des sanctions commerciales prises contre la Russie et de la pression croissante exercée par les États-Unis et ses alliés pour ne pas acheter d’armes russes», précise Wezeman.

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Moscou devrait toutefois conserver, selon lui, des petits stocks d’armes destinés aux pays africains. Un moyen, souligne-t-il, «de satisfaire ces États et de s’assurer qu’ils resteront neutres au Conseil de sécurité des Nations unies ou dans d’autres organes politiques».

Pourtant, de 2018 à 2022 Moscou a supplanté Pékin en tant que plus grand exportateur d’armes de la région avec un total de 26 % de parts de marché, contre 21 % sur la période précédente. La Chine, de son côté, a vu ses parts de marché plonger de 29 % à 18 % dans la sous-région, passant ainsi à la seconde place, devant la France et les États-Unis.

Comme dans d’autres domaines tels que les infrastructures, l’énergie ou les mines, il existe actuellement une intense «compétition entre les pays exportateurs d’armes pour l’influence en Afrique subsaharienne», note le SIPRI. Une bataille économico-diplomatique dans laquelle le Kremlin s’est montré particulièrement actif ces dernières années – citons à titre d’exemple le premier Sommet Russie-Afrique organisé à Sotchi en 2019, où Vladimir Poutine avait reçu plus de 40 chefs d’États africains – .

Le Mali, qui recevait auparavant des armes de plusieurs pays, dont la France et les États-Unis, est un exemple de la domination russe. Après les coups d’État au Mali en 2020 et 2021, ces deux pays ont interrompu leurs exportations vers Bamako. Le pays est en effet dirigé par une junte conduite par le colonel Assimi Goïta. Cette situation laisse le champ libre à des États moins regardants en la matière.

De plus, le lien entre les ventes d’armes russes et la présence du groupe paramilitaire Wagner est établi, note Wezeman. «On le voit au Mali, on le voit aussi en Libye ou en République centrafricaine. Même s’il y a un embargo des Nations unies, les armes entrent et elles entrent notamment avec Wagner», souligne-t-il, ajoutant que ces mercenaires utilisent principalement des armes russes dans ces pays où ils sont actifs, que leur présence soit officielle ou non.

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Le marché africain reste toutefois «très ouvert» et compétitif. Les États s’orientent le plus souvent vers les contrats les plus avantageux financièrement. «Il y a beaucoup d’options possibles pour la plupart des États africains, observe  Wezeman, notant cependant que certains d’entre eux sont confrontés à des refus des exportateurs. Pour le Mali par exemple, les États-Unis n’ont plus la volonté [de livrer des armes au pays], de même que les pays européens, en raison des problèmes de démocratie interne.»

Les dépenses marocaines en stagnation

À un moment où celles des pays de la région sont en baisse, les dépenses du Royaume en contrats militaires se chiffrent à 5,4 milliards de dollars en 2022, selon le rapport. Le budget étant resté à quelques dollars près, le même que l’année précédente, note SIPRI.

Le Maroc conserve ainsi sa position (29ème place) loin derrière l’Algérie en 18ème position. Rabat a consacré plus de 4% de son PIB aux dépenses en lien avec le domaine stratégique de la défense, avec une part des importations d’armes mondiales s’élevant à 0,8% entre 2018 et 2022, contre 1,1% pour la période entre 2013 et 2017. Le pourcentage du changement est de -30% entre les deux périodes, précise le rapport.

Comme à l’accoutumée, les États-Unis sont restés le premier fournisseur d’armes au Maroc, avec une part de 76%, devant la France (15%) et la Chine (6,8%).

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Le document indique que les dépenses militaires pour le Maroc et l’Algérie représentent 74% des dépenses totales des pays d’Afrique du Nord, qui sont estimées à 19,1 milliards de dollars, soit 3,2 % de moins de ce qu’elles étaient en 2021. «Le différend régional entre les deux pays liés à la question du Sahara a eu un impact significatif sur les politiques de dépenses militaires», précise l’institut. Malgré cela, les dépenses militaires algériennes ont chuté de 3,7 % à 9,1 milliards de dollars, est-il précisé.

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