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Administration publique : un système archaïque

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En une décennie, cinq ministres se sont succédé à la tête d’un département chargé de la modernisation de l’administration avant que la modernisation ne se transforme en réforme de l’administration. Ghita Mezzour, actuelle titulaire du poste, et ses prédécesseurs Mohamed Benchaâboun, Mohamed Benabdelkader, Mohamed Moubdi et Abdelaâdim Guerrouj ont tous été dépités. L’administration marocaine résiste au changement, au grand dam des citoyens.

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Au Maroc, nous avons un ministère de la Transition numérique et de la Réforme de l’administration. Ce département est dirigé par Dr Ghita Mezzour qui porte le titre de ministre déléguée auprès du chef du gouvernement. Cette dame est bardée de diplômes et a certainement beaucoup de talent pour faire avancer le chantier de la digitalisation, mais que peut-elle faire face au mammouth qu’est l’administration publique ?

Il ne faut pas se voiler la face, l’administration marocaine est un handicap au lieu d’être un appui au développement du pays. Dans son discours d’ouverture de la première session parlementaire de la 10e législature, le 14 octobre 2016, le roi Mohammed VI a ouvertement critiqué le rendement des administrations publiques et leur sureffectif. «Les administrations et les services publics accusent de nombreuses carences relatives à la faible performance et à la qualité des prestations qu’ils fournissent aux citoyens. Ils pâtissent également de la pléthore des effectifs, du manque de compétences et de l’absence du sens de responsabilité chez de nombreux fonctionnaires», avait reproché le Souverain. «L’administration souffre essentiellement d’une culture ancienne chez la majorité des Marocains», avait-il estimé. Le chef de l’État avait également insisté sur la mise à niveau des fonctionnaires : «En effet, la situation actuelle nécessite de porter un intérêt particulier à la formation et la mise à niveau des fonctionnaires, qui forment le maillon essentiel dans la relation du citoyen avec l’Administration. Elle requiert aussi de leur offrir un environnement de travail convenable et de mettre en œuvre les dispositifs d’incitation, de reddition de comptes et de sanction». Et de conclure : «l’utilisation des nouvelles technologies contribue à faciliter l’accès, dans les plus brefs délais, du citoyen aux prestations, sans qu’il soit nécessaire de se déplacer souvent à l’Administration et de s’y frotter, car c’est là la cause principale de l’extension du phénomène de corruption et du trafic d’influence».

Suite à ce discours, le portail chikaya.ma a été lancé. Son compteur affiche plus d’un million de plaintes déposées.

Lire aussi : Chikaya.ma : montée en flèche des réclamations envers l’administration

Rien n’a changé

Force est de constater qu’après ce discours, rien n’a vraiment changé. Le gouvernement El Otmani a travaillé sur le projet de loi 55.19 relatif à la simplification des procédures et formalités administratives. Cette loi est entrée en vigueur le 28 septembre 2020. Il s’est aussi penché sur la réforme des Centres régionaux d’investissement (CRI), la mise en place des chantiers de décentralisation administrative et la simplification des procédures et formalités administratives. Mais à part la refonte des CRI, qui a porté ses fruits, rien de concret n’a été réalisé concernant la simplification des procédures, mis à part le lancement du portail ‘‘idarati.ma’’. Cette plateforme donne accès à l’information sur plus de 600 procédures et formalités administratives.

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Portail idirati.ma

Le 22 avril 2021, le ministère de l’Intérieur a annoncé que dans le cadre de sa stratégie de simplification des procédures administratives du Royaume, les Marocains seront désormais exemptés de fournir un certain nombre de documents. Parmi ces documents, qui sont au nombre total de 22, figurent les attestations de célibat, de mariage, de polygamie, de non-divorce, ou encore de veuvage. Une véritable révolution !

Ceci étant, ce même ministère de l’Intérieur n’arrive pas à appliquer les dispositions de la loi 55.19. Ce texte a aboli la légalisation de signature des documents et des copies conformes, composant le dossier de demande de l’acte administratif, mais dans les faits, il n’en est rien. Les différents arrondissements et annexes administratives rattachées à l’Intérieur continuent d’exiger des copies certifiées conformes des documents et des signatures légalisées pour les différentes demandes déposées par les citoyens. Au mois de juin dernier, le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, avait souligné devant les parlementaires que la loi 55.19 a pour objectif de définir les principes et les règles de référence en matière de fonctionnement des services publics. Aussi, ce texte de loi vise à consolider la confiance entre l’usager et l’administration, ainsi que de recenser, classer, documenter et enregistrer tous les actes administratifs et les publier sur le portail national des procédures et formalités administratives, avait-il ajouté. Selon le ministre, la loi impose également aux administrations de demander aux usagers une seule copie du dossier de demande de l’acte administratif et des documents et pièces le constituant.

Exemples d’aberrations

Comment voulez-vous rétablir la confiance entre le citoyen et l’administration alors que cette dernière fait tout pour lui compliquer la vie ? Pour rester sur les mésaventures des Marocains avec les services du ministère de l’Intérieur, la procédure de demande de passeport est anecdotique. Sur le site ‘‘passeport.ma’’, le ministère liste les pièces à fournir pour les demandes de passeport pour personne majeure. Il s’agit du « formulaire de demande de passeport biométrique renseigné, daté et signé par le demandeur, des droits de timbre acquittés en utilisant un code e-timbre, une photocopie de la Carte nationale d’identité électronique (CNIE) en cours de validité et une photographie d’identité récente, sur fond bleu, blanc ou gris clair de format 35mm x 45mm représentant le demandeur de face et faisant apparaître clairement les caractéristiques de l’ensemble de son visage ». Voilà qui paraît simple comme bonjour. Seulement, voilà, une fois arrivé au bureau des passeports relevant de l’annexe administrative ou du caïdat, le citoyen se voit obligé d’ajouter plusieurs pièces non mentionnées sur le site.

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Pire encore, les mineurs de moins de 12 ans disposant d’une CNIE doivent malgré tout produire un certificat de résidence et un extrait d’acte de naissance. Le formulaire doit être refait sans remplir la case CNIE. C’est que le système informatique du ministère n’a pas été mis à jour pour intégrer cette nouveauté (CNIE des mineurs de moins de 12 ans) introduite en 2020. Pour tous les enfants mineurs, l’autorisation écrite signée et légalisée du père (tuteur légal) est exigée. Encore une fois, une administration publique qui exige la légalisation de signature en violation de la loi 55.19.

Dans le cadre des anomalies constatées par les journalistes de LeBrief.ma, certains fonctionnaires exigent plusieurs copies de la CNIE et quatre photos au lieu d’une seule. D’autres n’hésitent pas à imposer l’achat d’une chemise cartonnée d’une couleur bien déterminée (pour que la préfecture puisse reconnaître facilement les dossiers envoyés par chaque annexe administrative) pour compléter son dossier. C’est que, dit-on, le ministère ne dispose pas de moyens pour acheter les fournitures (chemises, bâtons de colle, agrafes, etc). Pourtant, ce passeport coûte 500 DH.

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La légalisation de signature, une pratique à laquelle aucun citoyen n’échappe © DR

Manque de moyens ou zèle ?

Le manque de moyens est généralisé au niveau de toutes les annexes administratives. En plus du sous-effectif, plusieurs responsables nous ont confié qu’ils n’avaient pas d’espace dédié aux archives, certains utilisent les armoires réservées aux équipements des Forces auxiliaires alors que d’autres conservent les documents archivés dans des sacs poubelles. Pourtant, le ministère dirigé par Laftit est doté d’un budget de 33,4 milliards de DH (MMDH) consacré au fonctionnement dont 4,1 MMDH dédiés à la gestion des équipements et dépenses diverses.

Chaque caïd essaie d’utiliser son relationnel pour avoir des fournitures de bureau ou d’utiliser du matériel saisi. «Lors de la pandémie de Covid-19, plusieurs cafés ont été fermés par les autorités et leur mobilier. Les chaises qu’on utilise pour accueillir les citoyens dans les bureaux du caïdat sont celles saisies dans un café en 2020», murmure un agent de l’État civil dans une annexe administrative de la capitale. Outre ces pratiques ahurissantes, des fonctionnaires zélés n’hésitent pas à rallonger la liste des pièces exigées pour certaines démarches administratives. «Je me suis rendu à un office public pour déposer une demande auprès des autorités provinciales pour de nouveaux projets générateurs de revenus dans notre localité. Le fonctionnaire chargé de cette opération m’a demandé de fournir des photocopies agrandies et en couleurs de l’ensemble des documents. Quand j’ai demandé la conformité légale de cette exigence, le fonctionnaire m’a certifié que c’est pour s’assurer de ne perdre aucun document et pour faciliter la tâche à la commission qui va étudier la demande et dont certains membres ont des troubles de la vision, ce qui va -selon ses dires- accélérer le processus», témoigne, sous couvert d’anonymat, le vice-président d’une commune rurale dans la région de Safi. À noter que l’office en question réalise un chiffre d’affaires de plusieurs milliards de DH chaque année.

Autre expérience, autre calvaire vécu cette fois par un industriel. Ce dernier nous raconte les péripéties d’une situation rocambolesque. Voulant se débarrasser légalement de déchets toxiques et après plusieurs démarches auprès des services centraux concernés à Rabat, un fonctionnaire lui a suggéré de louer une barque et de lâcher les déchets au milieu de l’océan parce que les démarches sont lourdes et peuvent prendre plusieurs mois !

La notion de service public n’existe pas au Maroc. C’est que chez nous, le citoyen-contribuable-client est victime de toutes les injustices quand il a affaire à l’administration publique. On peut le priver d’un droit élémentaire, le sermonner, le malmener, voire l’insulter et l’agresser physiquement. Dans son auto-saisine n°13/2013, le Conseil économique, social et environnemental révélait que «le service public est marqué par une forte dépendance vis-à-vis de l’agent de l’administration, plus le citoyen (ou tout autre usager) se trouve face à une situation de grande fragilité. Ce phénomène est plus accentué pour les populations les plus vulnérables, auprès de qui les pratiques d’abus de pouvoir sont encore plus répandues».

Malgré les multiples réformes engagées ces dernières années, l’administration marocaine est encore embourbée dans un système de santé archaïque, dépourvu de moyens, voire corrompu. La victime est certainement le citoyen lambda qui a recours à un service public dont les portes sont fermées et dont la majorité des fonctionnaires font preuve de négligence ou sont odieux envers des contribuables qui ne savent pas chez qui se plaindre d’une injustice qu’ils auraient subie.

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