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Immobilier : les malheurs de la copropriété

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Au Maroc, le statut de copropriétaire n’est pas toujours synonyme de bonheur. Après l’euphorie de l’achat, un emménagement dans son nouvel appartement peut très vite virer au cauchemar. Copropriétaires désengagés, troubles du voisinage, gestion chaotique du syndic… Chez nous, les copropriétaires font valoir leurs droits, mais oublient malheureusement qu’ils ont aussi des devoirs à remplir.

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Il faut tout d’abord s’accorder sur le fait que la copropriété immobilière couvre tous les types d’immeubles ou groupe d’immeubles bâtis dont la propriété est répartie entre plusieurs personnes. La notion de copropriété implique l’existence de parties privatives et de de parties communes appartenant dans l’indivision à l’ensemble des copropriétaires. Ces derniers doivent être réunis au sein d’un syndicat de copropriété. Tout cela est régi par la loi 106-12 modifiant et complétant la loi 18-00 relative au statut de la copropriété des immeubles bâtis. Les copropriétaires peuvent rédiger leur propre règlement de copropriété ou utiliser le modèle-type publié au Bulletin officiel (BO) le 1er janvier 2018. Il faut dire que les relations dans une majorité de copropriétés sont tendues à cause de l’absence d’un règlement relatif à la gestion des parties communes et privatives. Depuis la publication dudécret avec le règlement-type, plus d’excuses : les copropriétaires sont obligés de respecter ses termes.

Le rêve de devenir propriétaire de son logement

Selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP), en 2014, le nombre de ménages urbains propriétaires de leur logement était de 61,9%. Il va sans dire que tout citoyen caresse le rêve de devenir propriétaire de son logement. Le statut de locataire n’est plus attrayant quand on peut acquérir un appartement en payant une traite équivalente à un loyer.

Selon un sondage réalisé en 2016, 78% des Marocains se sont fixés pour objectif d’acheter un bien immobilier dans les dix prochaines années. Pour l’écrasante majorité des personnes sondées, être locataire revient à jeter l’argent par la fenêtre. Au total, plus d’un million de Marocains vivent en copropriété, principalement dans les grandes villes du Royaume, dont 40% dans la métropole casablancaise.

Seulement voilà, plusieurs nouveaux propriétaires ne s’attendent pas à certaines contraintes de jouissance des parties communes d’un immeuble. De ce fait, les usages non autorisés des parties communes sont fréquents : dépôts encombrants de divers objets ou de marchandises dans les espaces de circulation, tentative d’appropriation d’un espace commun, etc. Certains promoteurs immobiliers ont une grande part de responsabilité dans les différends entre copropriétaires. En vendant directement les parties en principe indivises (débarras dans le garage, box sur la terrasse…), les promoteurs créent un objet de litige entre les copropriétaires qui ne peuvent pas tous profiter de toutes les commodités.

Des problèmes à n’en plus finir

Malgré l’amendement de la loi sur la copropriété et la mise en place d’un règlement-type régissant les relations au sein de la copropriété, de nombreux problèmes continuent d’empoisonner l’existence de malheureux copropriétaires. Abdelhaq Ennouri a acheté un appartement neuf au triangle d’or à Casablanca pour la coquette somme de 2,6 millions de DH (MDH). Cadre supérieur dans le secteur IT, Abdelhaq n’imaginait pas que pour les immeubles neufs, la procédure de passation de la gestion des parties communes du promoteur immobilier aux copropriétaires pouvait conduire à un blocage total au niveau de la résidence. «J’étais parmi les premiers copropriétaires à emménager, sur 20 appartements, seulement cinq étaient habités. Après sept mois sans souci majeur, le promoteur s’est retiré de la gestion et a envoyé un courrier demandant aux copropriétaires de former un syndicat pour assurer la passation. La moitié des copropriétaires n’habitant pas la résidence, nous n’avons pas puélire un bureau syndical. Tous les copropriétaires ont refusé d’occuper la fonction de président du syndic», témoigne amer Abdelhaq. La suite est déplorable: les trois quarts des copropriétaires ne paient pas leur cotisation fixée à 400 DH par mois, plusieurs factures du compteur général en souffrance, ascenseur en panne, départ du concierge, négligence des parties communes… «En l’espace de trois mois, l’état de la résidence s’est fortement dégradé. Je veux vendre mon appartement le plus tôt possible même à perte», affirme tourmenté notre interlocuteur.

En plus de la mauvaise foi de certains copropriétaires qui rechignent à payer les cotisations mensuelles, le manque de volontarisme dans la gestion des immeubles trouve son origine dans les ennuis qui en résultent. «Nous sommes copropriétaires dans une petite résidence de moyen standing située au quartier La Gironde à Casablanca. Pour éviter le casse-tête de la gestion syndicale et parce que de nos jours personne n’a de temps à consacrer à cette mission, nous avons fait appel à une entreprise spécialisée. Au lieu de payer 200 DH par mois, chaque appartement cotise à hauteur de 350 DH mensuellement. C’est plus cher mais nous sommes tranquilles», soutient Malika Feddoussi.

Un dernier témoignage fait état d’un copropriétaire récalcitrant qui ne veut pas payer ses cotisations arguant qu’il n’a pas à payer un « loyer déguisé »alors qu’il est propriétaire de son appartement, surtout que son appartement se trouve au rez-de-chaussée et qu’il n’utilise ni l’ascenseur ni les autres parties communes. Ce discours d’un mauvais payeur abolit la notion de collectivité, poussant le syndic à envoyer une mise en demeure. Si la mise en demeure reste infructueuse, le syndic saisit le tribunal.

Rôle du syndic

Toute copropriété doit être gérée par un syndic. L’assemblée générale des copropriétaires est tenue de désigner parmi les copropriétaires présents ou représentés à la majorité de voix un syndic et son adjoint pour un mandat de deux ans. Le syndic peut démissionner ou être révoqué par l’assemblée générale. À défaut d’électiond’un syndic et de son adjoint, ces derniers sont désignés à la demande d’un ou de plusieurs copropriétaires par le président du tribunal de première instance après avoir informé l’ensemble des copropriétaires et entendu les présents parmi eux. Si l’assemblée générale prend des décisions, leur exécution est confiée au syndic.

Les attributions du syndic sont diverses et couvrent les aspects juridiques, organisationnels et financiers. Ainsi, il s’occupe de la trésorerie et de la comptabilité. Le syndic assure la convocation et l’organisation des assemblées générales des copropriétaires et tient également les archives de la copropriété. Sa mission principale est de veiller au bon usage des parties communes en assurant leur entretien, la garde des principales entrées de l’immeuble et les équipements communs. Il est de son devoir d’effectuer les réparations urgentes même d’office.

Mais la réalité peut rendre cette fonction de syndic insupportable. Le comportement de certains copropriétaires fait que la situation est quasiment ingérable, surtout que le syndic est tenu responsable de tout préjudice dû à la négligence dans la gestion et l’entretien des parties communes, des réparations de l’immeuble et des travaux effectués pour sa maintenance. De nombreux litiges résultent de la négligence des syndics successifs qui n’ont pas archivé des documents qui devraient l’être. On reproche également et trop souvent au syndic de s’arroger certains privilèges: utiliser certaines parties communes à des fins privatives, retarder le paiement de sa quote-part des charges communes, passer des contrats personnels avec des tiers moyennant des commissions… Cependant, la pratique la plus courante est la mobilisation du personnelde la résidence (concierge, femme de ménage…) pour les besoinsdu syndic et de sa famille.

De graves dépassements

Dans plusieurs immeubles casablancais, des syndics recourent à la manière forte contre des copropriétaires qui ne paient pas leurs cotisations. Interdiction d’utiliser l’ascenseur, blocage de l’accès au garage ou à certains espaces communs… Des pratiques illégales et qui peuvent générer de graves incidents alors que le droit de propriété est protégé par la Constitution. Le syndic ne peut adopter aucune mesure coercitive à l’encontre des copropriétaires. Il a qualité pour ester en justice au nom du syndicat.

À El Jadida, une pratique d’un autre genre a suscité une vive polémique dernièrement. Une banderole accrochée récemment à l’entrée d’un immeuble mitoyen de l’Université Chouaib Doukkali d’El Jadida fait mention de l’interdiction de louer des appartements aux étudiants et aux célibataires.

jdida

Cette décision a été décriée aussi bien par les étudiants que par les acteurs de la société civile jdidis. Tous affirment que la loi est claire sur la liberté des copropriétaires de jouir de leurs biens sans droit de regard d’aucune partie, à condition de respecter les règles de la vie en copropriété. Quant aux problèmes d’ordre moral qui peuvent survenir, ils doivent être traités individuellement au lieu de priver les gens de louer leurs appartements à travers une décision illégale. En effet, aucun texte juridique ne permet de pratiquer une discrimination au niveau de la location sur la base du statut social ou de la catégorisation socioprofessionnelle.

De telles pratiques incitent à la haine et constituent une ingérence dans la vie privée des individus. Dans un commentaire sur Facebook, l’universitaire Abdelaziz Romani a estimé que ce qui se passe à El Jadida est «une violation flagrante de la morale, de la loi et de l’histoire du Maroc… C’est de la barbarie et de l’intolérance… Si quelqu’un dérange, il peut être recadré par le syndicat des copropriétaires».

En définitive, le cadre juridique de la copropriété au Maroc est à jour mais demeure mal appliqué. Et pour cause, bon nombre de copropriétaires ignorent leurs droits et obligations au sein de la copropriété ou préfèrent ne pas trop s’y attacher par mauvaise foi ou pour ne pas avoir de problèmes avec les voisins. Le voisinage est si important qu’un dicton marocain recommande : «Choisis ton voisin avant de choisir ta maison».

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