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Familles marocaines : les grandes mutations

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La célébration de Aïd Al-Fitr nous a rappelé l’importance de passer un peu de temps en famille. Cette journée, comme celle de Aïd Al-Adha, est très importante. En temps normal (hors pandémie), la famille doit être au grand complet. Il est de tradition de rendre visite à ses proches afin de présenter les vœux de l’Aïd. Mais cette tradition n’est plus respectée par bon nombre de citoyens qui préfèrent voyager pour échapper à ces moments qui ravivent les liens familiaux. La famille traditionnelle marocaine n’est plus ce qu’elle était. Elle a connu de grandes mutations qui, au fil des décennies, ont complètement métamorphosé son organisation. Les mutations observées sont le résultat d’une interaction poussée avec l’étranger, ce qui a provoqué un choc des valeurs et précipité le rythme de dislocation de la structure familiale au Maroc notamment dans les grandes villes.

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Comme beaucoup de ses congénères, Fayçal Marouani, cadre quadra à Casablanca, préfère passer l’Aïd loin de la famille. Il voyage avecson épouse et leurs deux enfants à Marrakech pour un séjour en formule «all-inclusive». Fayçal n’est pas très attaché à ces visites familiales pour souhaiter à l’ensemble des proches «Aïd Moubarak» ni au grand repas de famille le jour de la fête. L’ambiance familiale ne l’attire pas vraiment. Les enfants portant de nouveaux habits et recevant de l’argent des membres de la famille à qui ils rendent visite, en plus des différentes coutumes appliquées à cette occasion, ce n’est pas la tasse de café de cejeune cadre moderne et dynamique. Parents, enfants et petits-enfants autour de la même table garnie de « ch’hiwates » se réunissent dans une atmosphère chaleureuse dont Fayçal se prive et prive son épouse Lina, son fils Amine et sa fille Rim. L’Aïd est aussi une véritable occasion pour se réconcilier. Mais qu’importe, Fayçal n’est pas fâché avec sa famille, il privilégie juste les moments de détente avec son épouse et ses enfants. C’est devenu un rituel, c’est dans un hôtel loin de leur ville de résidence que les Marouani passent les fêtes religieuses. Pour Aïd Al-Adha, même le mouton est du voyage!

La notion de famille

Il n’existe pas de famille composée d’une seule personne. Partant de là, la famille est un groupe de personnes, une structure sociale. En fonction de l’intensité de ces liens (lien du sang, de droit, d’affection), l’on peut délimiter les personnes qu’elle rassemble : la famille au sens étroit est constituée des parents et des enfants. La famille dans un sens plus large, ce sont toutes les personnes liées par un lien de sang en ce qu’elles descendent d’un ascendant commun. La notion de famille est quelque chose d’important au Maroc. À chaque étape de la vie, l’individu est amené à la présenter. L’institution familiale estaussi un filet de solidarité intrinsèque, sans contrepartie d’échanges, du moins c’est ce qu’elle est supposée être. Selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP), dans la société marocaine, 63% des familles sont detype nucléaire. En milieu urbain, la famille comprend en moyenne 5 membres.

familles

Les modèles familiaux vivent un grand chambardement. (..) L’instruction des enfants, notamment celle des jeunes filles, a changé la donne. Les mentalités ayant évolué, l’autorité parentale est remise en question et les enfants prennent de plus en plus leur destin en main. La seule dominante qui n’a pas changé au sein des famillesmarocaines, c’est la responsabilité des parents qui se prolonge au-delà de l’âge de la majorité. Si à 18 ans sous d’autres cieux, les enfants quittent le domicile parental pour voler de leurs propres ailes, au Maroc les enfants devenus adultes continuent à profiter de la quiétude du coton familial jusqu’à ce qu’ils décrochent un premier emploi ou qu’ils se marient. Ceci étant, n’essayez surtout pas de demander à l’un des enfants de vous exposer sa propre généalogie familiale. La connaissance de cette dernière abeaucoup perdu de sa profondeur d’antan. Elle est de moins en moins un signe d’insertion dans une lignée et d’appartenance verticale à un groupe familial. La connaissance généalogique de sa propre famille dépasse rarement le niveau des arrière-grands-parents.

Des valeurs perdues

Ce qui était de l’ordre de l’inimaginable et de l’impensable il y a quelques années, est aujourd’hui monnaie courante au sein des familles marocaines. Les mœurs familiales ont profondément changé chez les citadins. Autrefois première source des valeurs, la famille connaît aujourd’hui des bouleversements comme la fragilité du lien conjugal et une redéfinition des relations entre parents-enfants ente autres. On remarque aussi l’éclatement des anciennes structures. Fini le temps des familles de type élargi. L’individu a pris la place du groupe. Les rapports intergénérationnels au sein de la famille sont tendus et les principes de hiérarchie et de l’autorité font partie du passé.

Un autre phénomène est observé avec beaucoup de curiosité: l’abandon de principes de la bénédiction, du respect ou de la pudeur. Il existe d’ailleurs tout un répertoire des valeurs qui interviennent à l’échelle individuelle, dans la sphère familiale comme l’obéissance (taâa), la bénédiction (rda), la droiture (lmaâkoul), la confiance (tiqa), la parole donnée (lkalma), le bien (lkheir)… La famille était la première institution où se transmettaient et se reproduisaient les valeurs. Ceci explique cela, l’effritement des valeurs traditionnelles agit sur le vivre-ensemble en termes de relations au sein de la famille par la distanciation. L’exemple le plus frappant est celui des jeunes couples urbains qui sont confrontés au problème de la garde des enfants. Plus question que les grands-parents s’en occupent.

Différents conflits

Les tribunaux marocains croulent sous les dossiers relatifs aux conflits familiaux. Divorce, garde, héritage et état civil font partie des sources les plus importantes de litige. L’évolution du système de valeurs engendre de nouveaux conflits qui auparavant été réglés en provoquant une réunion de famille ou via la médiation de l’aîné (lkbir). Depuis quelques années, on remarque aussi une amplification des affaires de nature criminelle, à savoir la violence physique,qu’elle soit contre les femmes, les enfants ou même les hommes. Pis encore, le Maroc enregistre une augmentation inquiétante des cas d’infanticide. L’exemple qui est toujours dans les esprits est celui de l’horrible crime commis il y a un an à Hay Hassani à Casablanca. Une femme avait tué ses trois enfants à cause de problèmes conjugaux. Suite à une dispute avec son mari, elle avait drogué ses enfants avecdes barbituriques puis tailladé les veines de leurs poignets avant de tenter de se donner la mort.

Il faut dire aussi qu’un bon nombre de plaintes déposées contre les membres de la famille sont classées sans suite en l’absence de preuves et de moyens de preuve, surtout lorsque la violence contre les parents et les épouses n’excède pas le verbal et l’aspect moral. Aussi, même sans aucune indication de réconciliation, de nombreux plaignants préfèrent renoncer au nom de la continuité des relations familiales et pour ne pas nuire à l’avenir professionnel des enfants, en particulier des adolescents, en cas d’application d’une sanction pénale à leur encontre. Cela les priverai d’un casier judiciaire vierge. Enfin, lorsque la plainte aboutit à des poursuites pénales, cela conduit à la désintégration des relations familiales. Car comment, après avoir opté pour une procédure judiciaire, on peut espérer rétablir la confiance et la chaleur des relations familiales par la suite? Par conséquent, la justice punitive, même si elle est activée de manière efficiente, ne peut cacher la réalité de l’effondrement défini par les valeurs sociales, éducatives et familiales.

La famille, un filet social

Comme disait un éminent démographe r’bati: «la famille est le premier abri contre les tares socioéconomiques». En effet, que serait la famille sans les valeurs d’entraide et de solidarité? Le réseau familial constitue un véritable filet social. Pour le commun des Marocains, l’entraide familiale est l’abri élémentaire pour satisfaire des besoins relevant du quotidien. Ce « refuge » familial se manifeste sous plusieurs formes: transferts en espèce ou en nature et prestations de différents services non pécuniaires. Malheureusement, là aussi un changement de comportement est à noter depuis le début des années 2000. Les prêts financiers familiaux altruistes sans intérêts et sans garantie sont de plus en plus rares. Par les temps qui courent, la solidarité familiale se limite à l’hébergement d’un membre de la famille confronté à une situation difficile et à l’intervention du réseau familial dans la recherche de l’emploi ou dans le règlement des litiges de toute sorte. On voit aussi les familles se mobiliser quand il s’agit de cotiser afin d’assurer des soins médicaux pourun membrene disposant pas de couverture sociale ou à la scolarisation d’enfants orphelins. Quoiqu’il en soit, tout Marocain qui se retrouve dans le « pétrin »se tourne sans hésiter vers la famille pour traverser cette mauvaise passe. C’est le réflexe naturel, affirment les sociologues.

Les déséquilibres qui ont affecté la structure familiale au Maroc sont le fait de facteurs géographiques, économiques et technologiques. Ces derniers ont profondément influencé son organisation ainsi que les rôles et missions de la famille traditionnelle. Si l’on conçoit l’évolution de la famille marocaine en adéquation avecl’ouverture du pays sur le monde, il n’en demeure pas moins que certaines valeurs constituaient un véritable ciment pour la société. De nos jours, au lien familial se substitue progressivement un lien fondé sur la rationalité et le calcul, dans lequel les relations sont moins personnelles. C’est le propre des sociétés modernes et la vie dans les grandes villes. Même la solidarité devient organique et non plus mécanique comme dans les sociétés traditionnelles. Qui aurait pensé qu’un jour au Maroc, les parents seraient abandonnés à leur sort par leur progéniture ou au mieux placés dans une maison de retraite? À méditer…

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